Elle parle doucement, d'une voix voilée et chantante comme une mélopée, et tente de soigner un vilain rhume à coup de tisane. Alors qu'on la rencontre dans la petite cour d'un hôtel du 18e arrondissement de Paris, Golshifteh Farahani ressemble à une Frida Kahlo perse, avec son sourire mélancolique et ses bijoux baroques. Étrange et sublime petit bout de femme qui a osé défier les mollah iraniens en devenant la première actrice à franchir les portes d'Hollywood sans voile (on la verra bientôt dans Pirates des Caraïbes 5) ou en posant nue dans le magazine Egoïste. De cet exil forcé, de cet engagement, elle ne parle que pudiquement, par métaphore. Mais ses choix cinématographiques en disent long. Après Poulet aux prunes ou My Sweet Pepper Land, la voici à l'affiche de Go Home de la réalisatrice libanaise, Jihane Chouaib. Elle y incarne Nada, une Franco-libanaise aux prises avec son enfance déracinée, les fantômes de son histoire familiale et son pays meurtri par la guerre civile. Interview d'une insoumise (presque) apaisée.
Dans le cas de Go Home, pas forcément, car l'héroïne quitte son pays à l'âge de 10 ans. Moi, j'ai quitté l'Iran à l'âge de 25 ans. Je pense que le point commun que nous avons, c'est que nous cherchons toutes les deux à l'intérieur de nous-même nos fantômes et trouver la paix.
Elle est forte et en même temps un peu dramaqueen. Elle est vaillante, elle est intelligente et elle prouve qu'on n'est pas forcément l'esclave de notre société. Jihane m'a donné des ailes pour voler, elle m'a donné les clés pour aller chercher le clown à l'intérieur de moi qui était bien endormi. Elle m'a beaucoup poussée.
Oui, c'est sûr que quand je pose nue, c'est différent d'une actrice française : cela représente quelque chose malgré moi, même si je n'ai aucune idée derrière la tête... Ce qui est faux bien sûr, puisque je sais évidemment ce que cela représente. Quand on vient d'ailleurs, on embarque notre histoire avec nous. Je me pose la question : c'est quoi le problème avec le corps des femmes ? Pourquoi cela pose autant de problèmes dans l'Histoire ? D'où vient cette peur des hommes ? Pourquoi veut-on mettre le voile ou enlever le voile ? La femme est toujours l'arme de la guerre. On l'a bien vu avec la polémique du burkini en France cet été... C'est honteux. C'est quoi le problème avec la femme ? Laissez-nous !
Les femmes iraniennes sont déjà tellement fortes et ont déjà tellement avancé... Les femmes orientales sont beaucoup plus enracinées que les femmes en Occident. Je souhaite bonne chance aux hommes iraniens lorsqu'ils vont devoir affronter cette renaissance des Iraniennes, cette force, ce tremblement de terre, ce tsunami. J'espère qu'ils vont survivre (rires) !
Je crois toujours qu'il est nécessaire pour toutes les femmes du monde d'habiter à Paris au moins un an. C'est une expérience extraordinaire. Par contre, un an... pas plus ! (rires). Mais clairement, la France a pas mal changé. C'est à nous de mettre un peu d'eau dans ce feu qui est en train de tout consommer. Il faut calmer tout ça. Malheureusement, les gens ont beaucoup de bois entre leurs mains pour alimenter ce feu destructeur. Et on n'a pas besoin de ça...
Etre en exil, c'est comme vivre sans un bras. C'est fatigant, mais on apprend à vivre avec. C'est quelque chose qui ne disparaît jamais, c'est comme un deuil, mais il faut bien avancer. Mais oui, j'ai très envie de m'asseoir et de poser mes valises. Après huit ans, je sens que c'est nécessaire.
Oui, je crois que l'amour en général est la base de notre construction en tant qu'être humain. L'amour m'a beaucoup appris. J'ai appris que je pouvais sourire, avoir un placard, un jardin. L'amour m'a soignée.
Go Home, un film de Jihane Chouaib
Avec Golshifteh Farahani, Maximilien Seweryn, François Nour
Sortie le 7 décembre 2016