Préciser dans leur dossier médical la consommation d'alcool des femmes enceintes ? Cette drôle d'idée nous vient d'Angleterre, et plus précisément du National Institute for Health and Care Excellence. L'Institut national de la santé et des soins voit là une façon de prévenir les risques de syndrome d'alcoolisation foetale, c'est-à-dire les anomalies qui peuvent survenir chez un individu dont la mère aurait consommé de l'alcool durant sa grossesse.
Pour décrire ces incidences particulières (qui concernent notamment le système nerveux de l'individu concerné), on parle alors "d'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale", ou ETCAF. Mais cet argument de poids du "ETCAF" pour mieux faire passer une exposition indiscrète des données intimes des patientes ne convainc pas tout le monde, et c'est même l'inverse : cette initiative suscite déjà colère et polémiques, entre paroles anonymes et discours des professionnels de la santé. Pourquoi ? Car elle signifie tout simplement que "le droit de la mère à la vie privée devient secondaire", tacle le Guardian.
Un "hic" tout sauf anecdotique, puisqu'il met à mal la protection des données personnelles. "Les femmes ne devraient pas perdre leur droit au secret médical simplement parce qu'elles sont enceintes", fustige Clare Murphy, la directrice des affaires extérieures du British Pregnancy Advisory Service (BASP), organisation caritative britannique dédiée au traitement des grossesses non désirées.
Sur Twitter, les débats s'enflamment.
"Vous plaisantez j'espère ? Comment expliquer que le droit au secret médical soit complètement ignoré une fois qu'une femme est enceinte ?", s'indigne encore la gynécologue Pragya Agarwal sur ses réseaux sociaux. Violation du secret médical, irrespect des données personnelles des patientes, mépris du corps des femmes et de leur intégrité... Les arguments s'alignent pour dénoncer les failles de cette proposition institutionnelle encore non-actée. "Je pense que cette situation est vraiment choquante, et nous sommes tous très surpris que l'Institut national de la santé et des soins emprunte cette voie", poursuit sur le même ton Clare Murphy.
"Le fait est qu'une fois qu'une femme tombe enceinte, elle perd tous ses droits fondamentaux", s'attriste sur Twitter Pragya Agarwal. Directrice générale de l'association Adoption UK (laquelle s'occupe des enfants vulnérables et de leurs familles d'adoption), Sue Armstrong Brown explique quant à elle dans les pages du Guardian "qu'il y a sans aucun doute un équilibre à trouver entre la protection des libertés de la mère et la protection de la santé de l'enfant à naître". Équilibre d'autant plus délicat que, comme nous le rappelle le journal britannique, si les symptômes sont visibles (troubles comportementaux, difficultés d'apprentissage), les réelles incidences de l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale demeurent encore incertaines, si ce n'est "inconnues".
En gros, s'il est très recommandé d'éviter de boire de l'alcool durant la grossesse, certains troubles observés chez l'enfant ou l'individu concerné restent encore "difficiles à interpréter", poursuit le Guardian. Et émettre des diagnostics n'est pas toujours chose très limpide. Pour beaucoup, l'Institut National de la Santé et des Soins ne chercherait donc qu'à faire culpabiliser davantage des femmes déjà soumises à toutes sortes de pressions sociales. "Très bien. Pouvons-nous donc également enregistrer la consommation d'alcool des hommes en raison du risque de violences envers les enfants et les femmes ?", ironise en ce sens une internaute. Et pourquoi pas ?