Faut-il lever le secret médical ? "Oui", rétorque Marlène Schiappa. Ce projet de dérogation est l'une des principales propositions mises en avant par le Grenelle des violences conjugales, dont la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes est l'instigatrice. Selon la politicienne, assurer un partage du secret médical entre les médecins, les urgentistes, les avocats et la police, permettrait de prévenir les féminicides et ainsi de "mieux protéger les femmes", en autorisant les médecins à signaler les cas de violences conjugales aux autorités compétentes. Une manière de lutter contre les risques de récidives. Sur le papier, tout du moins.
Car depuis l'évocation de cette "réforme" en septembre et sa confirmation par le Premier ministre le 25 novembre dernier, les débats se succèdent. Ce projet est loin de susciter l'adhésion des professionnels. Selon certains, il ne ferait qu'exacerber les dangers qu'encourent les patientes et victimes de violences. Et pourtant, suite à une annonce communiquée le 18 décembre, c'est aujourd'hui l'Ordre des médecins qui se dit "favorable" à la levée du secret médical...
Favorable, oui, mais selon des conditions bien spécifiques, comme l'indique Le Monde. A l'issue d'un vote effectué le 13 décembre dernier, la large majorité des membres du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) se sont plus précisément déclarés "favorables" à la "possibilité" de la levée du secret médical, et donc à une modification du Code Pénal, concernant les femmes victimes de violences conjugales. Mais uniquement dans le cas où ces patientes seraient en situation de "danger vital immédiat".
A l'idée de levée du secret médical, les professionnels préfèrent d'ailleurs l'énoncé "dérogation permissive". Cette levée ne serait donc que ponctuelle. Et surtout, elle devrait prendre en compte le libre-arbitre des femmes victimes. Comme l'énonce encore le Conseil national, le médecin ou le professionnel de santé devra dans un premier temps "s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure". En cas de refus, le professionnel peut choisir de prévenir le procureur de la République de la situation. Une précision de taille, car c'est là l'un des grands enjeux de ce débat national.
Comme nous l'expliquait effectivement l'écrivain militant et ancien médecin Martin Winckler en novembre dernier, lever le secret médical pourrait porter atteinte à la volonté, à la confiance et à l'autonomie des patientes. Le médecin qui agirait ainsi ferait preuve de paternalisme et d'irrespect. "Si la femme ne porte pas plainte par elle-même, elle ne veut certainement pas que quelqu'un d'autre le fasse à sa place, et encore moins le médecin", affirmait notre interlocuteur. Le médecin devrait donc "rester à sa place".
C'est également sur cette "relation de confiance" qu'insiste aujourd'hui le communiqué officiel du Conseil national de l'Ordre des médecins relayé par Le Monde. Par-delà les traditions du milieu médical, ce qu'implique ce projet de dérogation n'a rien d'anecdotique. Il suggère, par exemple, de prendre en compte la notion "d'emprise" (du conjoint sur sa victime) et les mesures qu'un tel contexte implique. Mais aussi de répondre concrètement à cette vaste question : qu'est-ce au juste qu'une situation de "danger immédiat" pour une femme victime de violences conjugales ?
"L'objectif n'est pas juste de faire un signalement, mais aussi de mettre à disposition des victimes tous les moyens nécessaires", souligne de son côté Patrick Bouet, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, dans les pages du Monde. Jusqu'ici, la levée exceptionnelle du secret médical en France concernait les victimes mineures. Désormais, il faudra certainement compter sur un élargissement de cette "exception". "Aujourd'hui, le secret médical protège les agresseurs et les médecins. Mais pas les victimes", nous expliquait le chirurgien Jacques Saboye. Plus pour longtemps ?