Elle a beau être plus confidentielle chez nous, Halloween bat toujours son plein outre-Atlantique. Et aura lieu cette année ce samedi 31 octobre. Comme le révèle (en exagérant bien les choses) le truculent film Trick & Treat, la fête païenne a là-bas des allures de Noël morbide, investissant rues et foyers, magasins et trottoirs. Partout, des citrouilles flamboyant de mille feux, des squelettes et décorations ponctuées de toiles d'araignées, des bonbecs acidulés qui s'amassent dans les mains des enfants grimés en diablotins. Et donc, des déguisements, beaucoup.
Et c'est là que le bas blesse. Si Halloween est évidemment synonyme de séances horrifiques où abondent les figures féminines (qu'elles soient victimes hurlantes ou vampiresses, louves-garous, aberrations diverses), la profusion de costumes qu'elle implique n'a, quant à elle, pas grand-chose d'empouvoirante. Ces dernières années, de plus en plus de voix soucieuses de l'égalité des sexes s'interrogent sur la manière dont ces déguisements perpétuent les pires stéréotypes.
Quitte à poser les pieds dans le plat à friandises : et si Halloween était une fête intensément sexiste ? A force de clichés relous, on se demande effectivement si cette célébration n'a pas jeté un (mauvais) sort au girl power. Faut-il donc balancer les citrouilles au bûcher ?
Le magazine américain Bustle établit un fait : "Choisir le costume d'Halloween parfait peut être un défi quand on est une femme". Car très souvent, la fin octobre rime avec "sexy", cela semble inévitable. On retrouve ainsi parmi les pires costumes du genre : diablesses aux attitudes suggestives, secrétaires perverses, personnages pop bien genrés comme il faut (les princesses Disney)... Rares sont les costumes à ne pas engendrer blagues vaseuses et situations graveleuses.
Un simple coup d'oeil vers un site de vente en ligne suffit d'ailleurs à nous convaincre. La vision d'Halloween qui s'en dégage n'est vraiment pas loin d'un porno soft. Tissus très légers, cuir omniprésent, fouets aux mains, costumes "d'étudiantes" (jupettes et socquettes) ou encore bonnets de bunnies (les modèles iconiques du magazine Playboy)... La sexualisation du corps des femmes est omniprésente. Les personnages représentés ? Des super-héroïnes, des déesses de la mythologie grecque, des guerrières issues de jeux vidéo à succès...
Autant de figures potentiellement "badass" qui n'exigent pas cette érotisation si abusive qu'elle en devient presque drôle. Ah, et encore, vous n'avez pas lu les intitulés, bien plus subtils : il y est question de "naughty" (vilaine) secrétaire, d'écolières "sexy", de "babe". Entre infirmières, cougars (en costume peau de léopard) et fliquettes "glamour", les déguisements de ce genre constituent un marché commercial à part entière.
A un point tel que le site canadien MacLeans nous l'affirme noir et sur blanc : Halloween nous parle de fesses, un point, c'est tout. "Appelons cela la règle obscène d'Halloween: pour chaque type de costume masculin, il existe une version féminine qui comprend des talons hauts, des bas résille et un décolleté". Des gourmandises pour le "male gaze", ce regard qui ne perçoit en les femmes que de simples objets sexuels.
Mais pas seulement. "Tout revient au sexe, même les costumes des hommes : pour eux, cela signifie s'habiller comme des mâles alpha confiants, plus forts et héroïques qu'ils ne le seront jamais", poursuit l'analyse. Le port du déguisement en dit long sur des stéréotypes de genre qui persistent.
Et ce n'est pas juste une question de vente en ligne. Non, la recherche elle aussi se met à décortiquer ces belles pépites sexistes. Professeure de psychologie à l'Université de West Chester (en Pennsylvanie), Lauri Hyers parle carrément d'un "schématisme inquiétant" qui persévère. Genrer un costume ne peut s'envisager sans sexualiser celle qui va l'arborer, et pire encore : "infantilisées et limitées à leurs attributs physiques, les femmes sont généralement considérées comme innocentes, douces ou bien soumises", avance-t-elle à Inquirer.
Dans ce grand imaginaire marketing, les femmes sont donc de "vilaines filles", ou à l'inverse, des poupées pleines de paillettes, de timidité et de bouclettes, sans cesse ramenées à l'adolescence, dans une sorte de vaste délire "lolitesque" libidineux à souhait. Des tropes qui alimentent les plus régressifs fantasmes. Etudiante en sciences sociales à West Chester, Leigh Wolfrum le déplore. A Inquirer, elle explique que "ces constats [lui ont] définitivement ouvert les yeux sur un grand nombre de stéréotypes et sur la façon dont les femmes sont perçues dans la société". Un sexisme si banalisé que même les sorcières se retrouvent en jupette...
Mais rassurez-vous, la résistance avance. Aux quatre coins du web, entre réseaux sociaux et blogs, des paroles féministes s'unissent pour renverser les codes patriarcaux de cette célébration païenne. Exemple ?
Du côté du site Refinery29, on imagine des déguisements empouvoirants. Les alternatives abondent. Porter le maillot de la championne du monde Megan Rapinoe, capitaine, lesbienne et anti-Trump, de l'équipe de football féminine américaine. Les oripeaux très chics de Jodie Whittaker, première Dr Who au féminin. Ou encore l'armure d'Okoye, la générale badass du blockbuster Marvel Black Panther.
Mais aussi, les fringues d'empêcheuses de tourner en rond comme Hermione Granger et Daria (l'héroïne de la série animée éponyme) et de nouvelles icônes de la pop culture comme Rey, au coeur de la dernière trilogie Star Wars. Et pourquoi pas se vêtir de t-shirts ou maillots aux slogans puissamment militants ? Comme ce débardeur blanc délivrant un nécessaire rappel à l'ordre : "Seulement Oui veut dire Oui". Car même en pleine soirée d'Halloween, un petit discours sur le consentement n'est jamais de trop.
Dans la revue The Courier, plusieurs blogueuses féministes débattent de l'importance d'évoquer ce qu'implique réellement cette fête : du slut-shaming en pagaille (les violences sexistes prenant pour cible le corps des femmes et leur sexualité), l'injonction à être sexy en permanence ou encore la prédominance du regard des hommes. Problématique à l'heure où sorcières et super-héroïnes, plus pop que jamais, sont devenues de véritables totems féministes.
A cela, l'autrice Amy Brown rétorque : "Halloween, à l'origine, devrait simplement être l'occasion de s'amuser, comme une fête alternative pour celles qui ne sont pas si préoccupées par Noël. Or aujourd'hui même un costume de sorcière devient un costume de 'sorcière sexy'", déplore l'autrice. Avant de développer son point de vue : "Nous espérons donc que les costumes spécifiquement genrés disparaîtront peu à peu. Mais en fait, tout le monde mérite le même respect, quelle que soit la façon dont il ou elle s'habille. D'ailleurs dans une société féministe idéale, chacune devrait être libre de porter ce qu'elle veut... et pas juste pour Halloween !". CQFD.
Et si entre deux poignées de bonbecs, Halloween incitait à penser une société plus égalitaire ? De quoi effrayer bien des trolls machos.