Angélie Baral : Nous avons retenu le sujet de la biodiversité car les menaces qui pèsent sur elle n’ont jamais connu une telle ampleur. « La biodiversité n'a jamais été dans un si mauvais état et elle continue à décliner », telle est la conclusion de Neville Ash, directeur de la section biodiversité du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), lors de la dernière conférence de l’ONU sur la biodiversité biologique de Hyderabad (Inde), passée totalement inaperçue dans les médias. Or, protéger la biodiversité exige de repenser nos modèles, à commencer par ceux de nos entreprises. Mais plutôt qu’organiser une énième conférence sur la nécessité de protéger la nature, associée trop étroitement avec l’idée de toujours plus de contraintes mal vécues, nous avons voulu réconcilier l’entreprise avec tout ce que la biodiversité peut apporter de positif et lui montrer comment elle pouvait anticiper les risques plutôt que de les subir.
Marie-Christine Lanne : Generali, dès le début des années 2000, s’est engagé dans une politique de développement durable volontariste avec une idée centrale : faire des principes de durabilité un levier de création de valeur au cœur du métier de l’assurance. Développement durable et maîtrise des risques sont intimement liés. Par exemple, une entreprise attentive à ses parties prenantes, attentive à son environnement maîtrisera mieux ses risques. Nous voulons accompagner ces prises de conscience, les favoriser. Les réseaux sociaux contribuent à la propagation d’idées nouvelles autour d’une autre forme de développement. Les réseaux réels eux aussi. Et les femmes ont un regard transversal sur tous ces enjeux qui touchent aussi bien aux ressources qu’à l’humain.
M.-C. L. : Une prise de conscience aigüe en voyant les statistiques de notre profession où l’on peut voir qu’en l’espace de 3 ou 4 décennies les catastrophes naturelles semblent suivre une évolution assez parallèle à celle du taux de CO2 dans l’atmosphère. Plus il monte, plus elles s’intensifient. Il peut y avoir des effets de seuils. On parle des risques systémiques financiers… Mais beaucoup moins des risques systémiques environnementaux ! Or, le climat, le niveau de pollution, ont des répercussions sur la biodiversité. Et finalement, les horizons de temps semblent se rapprocher. Je suis mère d’un fils de 13 ans. En 2030, je n’ai pas envie qu’il connaisse un environnement trop dégradé. Nous sommes sans doute la dernière génération à pouvoir agir.
M.-C. L. : Il y a une culture à acquérir autour de ces enjeux. C’est un travail de longue haleine et il faut beaucoup expliquer, beaucoup associer l’interne et les réseaux de distribution. Ce n’est pas un combat que l’on peut mener isolément. Il faut pouvoir trouver le soutien de la direction générale et se construire un réseau de multiples relais en interne comme avec des partenaires externes. Et faire comprendre que le développement durable n’est pas une « idéologie idéaliste », mais une nécessité dans le monde d’aujourd’hui ; un levier de création de valeur et d’innovation. Il faut aussi être authentique dans sa volonté d’agir et s’inscrire dans la durée, dans une politique de « petits pas ». On ne peut pas tout révolutionner du jour au lendemain.
A. B. : Le constat est sans appel : si les entreprises sont nombreuses à affirmer leur préoccupation en faveur de la biodiversité au travers de leurs engagements affichés, peu d’actions concrètes sont menées dans les faits. De surcroît, pour l’essentiel, elles portent encore beaucoup trop souvent sur le choix d’actions phares (ex : replantation d’arbres mise très en avant dans des campagnes de communication). Désormais, une entreprise responsable, ce n’est plus seulement une entreprise qui répond à une certaine éthique, c’est aussi une entreprise qui s’assure une stabilité financière en limitant les risques. Il est évident qu’il y a encore un gros travail à faire pour qu’émerge cette prise de conscience. Mais plus encore, la biodiversité est une formidable source d’inspiration où se côtoient les meilleurs designers, architectes et ingénieurs que nous pouvons copier à loisir : de l’aération de nos bâtiments au fuselage de nos avions et de nos trains, de nos robots aux matériaux autonettoyants ou nos colles, les innovations n’ont de limite que notre compréhension du monde vivant. Autant dire que les perspectives pour les entreprises sont inépuisables, mais elles sont encore trop rares à l’avoir compris.
A. B. : Bien des discours tendent à dire que les femmes ont une prédisposition pour exceller à mettre en pratique le développement durable, perçues naturellement comme plus solidaires, plus impliquées socialement et plus sensibles à la nature et à la souffrance animale. Mais à mon sens, je crois que la force des femmes réside surtout dans leur façon d’aborder les conflits, assez éloignée de l’approche plus traditionnellement masculine. Nous ne sommes pas dans l’affrontement mais dans la recherche de compromis et nous savons très bien renforcer la communication et la cohésion à cette fin. Or, ce sont là des atouts considérables pour mettre en œuvre le développement durable, concept pluridisciplinaire par excellence où les interactions entre enjeux entrent perpétuellement en conflit, où il faut pouvoir trouver des terrains d’entente entre les services généraux et les spécialistes et où il est primordial d’avancer en heurtant le moins possible les sensibilités pour s’assurer le soutien du plus grand nombre. Non seulement nous croyons au rôle fondamental de la femme pour y parvenir, mais le monde professionnel nous donne raison : plus que jamais le développement durable est un secteur où l’expertise des femmes n’est plus à démontrer, multipliant les plus hautes fonctions de l’entreprise (et de la gouvernance) dans ce domaine – un rôle exemplaire pour valoriser plus que jamais le savoir-faire des femmes et faire évoluer les mentalités.
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