Elle est une membre respectée du parlement afghan et une militante infatigable des droits des femmes. A 43 ans, Shukria Barakzai fait partie des rares femmes qui ont réussi à s'imposer dans l'Afghanistan de l'après-talibans. Pourtant, malgré des convictions politiques solides et une envie irrépréssible de remodeler le paysage social de son pays, cette ancienne journaliste a connu de nombreuses épreuves et vu sa vie privée brisée.
"La plupart des gens voient en moi l'image de la réussite. C'est peut-être vrai en public, mais ma vie personnelle est beaucoup plus douloureuse", confiait en 2009 cette mère de trois enfants. Et pour cause puisque la militante a d'abord vécu la répression des talibans, qui avaient banni les femmes de la vie publique dans le pays durant leur règne.
Un jour, alors qu'elle avait 25 ans et n'était accompagnée d'aucun homme membre de sa famille comme le voulait la règle, des talibans l'ont fouettée en public dans la rue. "Je me suis sentie triste et déçue. J'ai beaucoup pleuré. Mais je me souviens, quand je me suis levée, j'ai senti une énergie immense", se rappelle Shukria Barakzai. "Et cette énergie a décidé de mon futur : devenir quelqu'un, m'opposer à l'injustice et me battre pour l'égalité".
La militante a alors créé une école clandestine pour les filles, officiellement privées d'éducation. Les étudiantes devaient cacher leurs livres sous la burka, afin que la police ne puisse pas les fouiller. Grâce à ses leçons dispensées en secret, huit de ses anciennes élèves ont pu accéder à l'université après 2001.
Mais l'activisme de Shukria Barakzai a fini par avoir des conséquences sur sa vie de femme. En 2004, alors qu'elle poursuivait son combat pour les droits des Afghanes, le mari de Shukria Barakzai, un riche homme d'affaires nommé Abdul Ghafar Dawi, a épousé une seconde femme sans même prendre la peine de la prévenir.
Un véritable affront, car si la charia permet à un homme d'avoir jusqu'à quatre épouses, c'est à la condition qu'elles soient traitées avec équité et que la première épouse donne son accord à un second mariage. "Je ne l'ai appris qu'après coup, par des amis. Cela m'a vraiment fait mal", se souvient Shukria Barakzai qui a toujours été opposée à la polygamie.
De cette épreuve, l'Afghane est ressortie blessée mais également bien décidée à fonder une organisation pour défendre les droits des femmes et lutter contre la polygamie et les mariages précoces ou forcés, des pratiques courantes en Afghanistan. "J'ai moi-même souffert, donc je sais comment aider les autres. En menant campagne à travers le pays, nous encourageons les femmes afghanes à refuser de devenir la seconde épouse d'un homme", argumentait la militante à l'époque.
Lorsque les élections législatives s'organisent dans le pays en 2005, les femmes sont officiellement autorisées à participer. Dans la circonscription de Kaboul, Shukria Barakzai décide de mener campagne pour promouvoir l'égalité des sexes. Parmi ses principaux rivaux, son propre mari. "Il était multimillionnaire à cette époque. Il a dépensé 500 000 dollars avec des enquêtes d'opinion. Moi, j'étais la pauvre femme avec son mégaphone en campagne dans la rue".
Malgré la difficulté de convaincre les hommes et femmes du pays de voter pour une femme, la candidate remporte les élections. "J'ai recueilli trois, peut-être quatre fois plus de votes" que son mari, affirme la nouvelle députée qui perçoit dans son pays "une soif de justice. La justice en Afghanistan est comme de l'oxygène", a-t-elle expliqué au site Mic.
Un premier succès politique qui a donné l'envie à l'élue de se présenter à l'élection présidentielle de 2014. "Je serai certainement candidate et je compte bien l'emporter", prédisait-elle en 2009. Mais Shukria Barakzai paiera le prix fort de sa soudaine aura médiatique en devenant la cible de nombreuses tentatives d'assassinat et de menaces de mort, dont beaucoup sont soupçonnées d'être l'oeuvre des talibans.
Le 16 novembre 2014, alors qu'elle se rendait au Parlement afghan avec d'autres élus, la députée féministe a échappé à un attentat-suicide contre son véhicule à Kaboul. L'attaque a tué neuf personnes et en a blessé 22 autres, dont trois membres de la famille de la parlementaire . Mais Barakzai, qui est parvenue à sortir de sa voiture, a aussitôt aidé les autres victimes alors même que ses vêtements brûlaient.
Peu après l'attentat, la députée a fait un discours depuis son lit d'hôpital, mettant un point d'honneur à montrer que rien ne pourrait l'arrêter et la contraindre au silence. "J'attends de guérir et puis je vais continuer (le travail). Et cette fois, je vais travailler encore plus dur", a-t-elle ensuite affrmé à l'AFP, jurant de reprendre son combat pour les droits des femmes en Afghanistan.
Pendant la campagne présidentielle, l'élue a finalement soutenu le futur président Ashraf Ghani. Mais moins de deux mois après son investiture, elle l'enjoint déjà à respecter ses promesses : "C'est bien de visiter un hôpital à minuit. Mais pour moi, c'est symbolique. Il doit prendre des mesures plus fortes, sérieuses. J'encourage son équipe", a-t-elle affirmé.
En juin dernier, Shukria Barakzai est même allée jusqu'à rencontrer une délégation de talibans à Oslo en Norvège. Objectif : négocier la paix et renforcer encore l'égalité des droits dans son pays. Le fait même que les talibans aient accepté de discuter avec une femme politique montre à quel point l'élue a réussi à s'imposer comme l'une des voix les plus respectées d'Afghanistan. Le Parlement où elle se rend régulièrement compte 249 députés, parmi lesquels 69 femmes. Une proportion à laquelle l'oeuvre de Shukria Barakzai n'est sans doute pas étrangère.