Nourriture "healthy", "running" quotidiens... Les anglicismes que recouvre le phénomène sont nombreux. Tout comme le nom donné à celui-ci : le "fitspo", contraction des mots "fit" (qu'on pourrait traduire comme "tonique" ou "en bonne forme") et inspiration. La tendance, qui se veut anti-anorexie et prône une meilleure hygiène de vie, fait désormais partie du paysage web qu'elle investit via des réseaux sociaux comme Tumblr ou Instagram.
Ainsi voit-on fleurir, au gré de nos balades 2.0, des pages web remplies de jeunes femmes aux abdos dessinés et aux fesses rebondies s'adonnant à la course à pied, au yoga ou à la musculation. Le tout entrecoupé de clichés appétissants à base de fruits, ou de mantras inspirants (le plus souvent en anglais), censés inviter leurs lecteurs(trices) à se dépasser.
L'un d'eux s'avère particulièrement révélateur du phénomène : "Strong is the new skinny" (littéralement "La force est la nouvelle maigreur"). Ou comment en une phrase résumer le glissement qui s'opère de la "thinspiration" vers la "fitspiration", du corps atrocement maigre des magazines à celui plus réaliste, mais aussi plus puissant, exhibé par les médias sociaux.
Le fitspo se présente ainsi en alternative à la taille de guêpe. "Là où le thinspo était une activité de vie ou de mort qui troquait les repas réguliers contre des cigarettes, du Coca light et une auto-destruction glorifiée, le fitspo prend un ton plus moralisateur, de réprimande même puisqu'il séduit par des selfies à la gym à 6h du matin", résume le quotidien britannique The Guardian. Sens de l'effort physique et volonté de fer certes, mais pas question pour autant de se transformer en Hulkette, puisque la tendance promeut plutôt une remise en forme et une construction de sa silhouette.
Alors exit la dichotomie "gros / maigre" et place au "négligeant / en bonne santé" ? Les choses semblent un peu plus compliquées que cela. Car en transformant la douleur en progrès, en assimilant la faiblesse à l'échec et en mesurant la valeur de chacun à son apparence physique, le fitspo, au même titre que la pratique du crossfit à certains égards, peut s'avérer tout aussi tyrannique que le thinspo qui l'a précédé.
Ainsi le mot "healthy", quasiment érigé en label qualité, peut s'avérer profondément trompeur. "Gavés de blogs santé et d'images étiquetés 'fitspo', nous risquons de confondre ce qui est bon pour la santé avec ce qui attire le plus de clics", poursuit le Guardian. Un constat auquel s'ajoute la crainte de voir naître, sous couvert d'équilibre de vie, une obsession maladive du sport et une diabolisation des sucres et féculents.
Car le rejet de certains aliments, que prône le fitspo, peut conduire à des pratiques alimentaires à risques comme l'orthorexie, qui pousse à l'extrême l'idée d'une saine alimentation. En révélant récemment être atteinte de ce trouble, la blogueuse Jordan Younger, bien connue des amateurs de fitspo, a jeté un pavé dans la mare, mettant le doigt sur les dérives de ce mode de vie et les dangers du "healthy eating" à outrance.
Ainsi le fistpo peut-il aussi bien couvrir une réalité "soft" (Je mange du quinoa et vais une fois par semaine à la salle de sport) qu'un phénomène plus dangereux conduisant au jugement et au dégoût permanent de soi. Une seconde version exacerbée par l'utilisation croissante des réseaux sociaux, où poster ses repas "healthy" et ses séances de sport a permis à certains précurseurs de la tendance "fitspo" d'accéder à une certaine notoriété au sein de cette communauté.
A ce petit jeu, les Anges de la marque Victoria's Secret comme Doutzen Kroes, Candice Swanepoel ou Izabel Goulart, mais aussi Jen Selter, reine incontestée en la matière, ont sur tirer profit du phénomène... au risque de transformer leur vie quotidienne en véritable campagne de pub.
Professeure de yoga à Londres, la Française Leasana constate malgré tout un retour à des pratiques moins extrêmes. "On assiste, face aux dérives de la fitspiration, à un intérêt grandissant pour ce qu'on appelle au Royaume-Uni le 'mindfulness' ", c'est-à-dire la pleine conscience vigilante de ses propres pensées, actions et motivations. "Les applications comme Headspace cartonnent, et les influenceurs ou blogueuses comme Jordan Younger, qui ont bâti leur business sur des photos de jus verts et salades de fruits, font machine arrière", poursuit la jeune femme qui assure d'ailleurs essayer de faire passer ce message dans ses cours : "écouter son corps".