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L'addiction sexuelle, c'est quoi ?
Publié le 6 décembre 2011 à 08:49
Par Sophie Bramly
À l'occasion de la sortie cette semaine du film de Steve McQueen, « Shame » (la honte), et également parce que les médias traitent de plus en plus volontiers de la question de l'addiction sexuelle, il semble opportun de se poser la question : mais au fait, l'addiction sexuelle, c'est quoi ? Et comment se fait-il que 9 millions d'Américains en souffriraient, alors qu'il y a si peu de temps encore nous ne savions rien de ce qui semble être maintenant un véritable fléau. Le point avec notre experte Sophie Bramly.
L'addiction sexuelle, c'est quoi ? L'addiction sexuelle, c'est quoi ?
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L'addiction vient généralement compenser une faible estime de soi. La personne, globalement insatisfaite de sa vie, compense avec des comportements compulsifs. Cependant, la notion d'addiction sexuelle est, elle, récente. Le terme n'est apparu qu'en 1983, dans le livre de l’Américain Patrick Carnes, « Out of the Shadow ».
Pour lui, comme pour tous ceux qui depuis se penchent sur la question, se rangent dans cette catégorie tous ceux qui ont des pratiques compulsives de la masturbation, de la fréquentation des sites adultes, de sex-shops ou de la prostitution, bref, de tout ce qui a à voir avec les pratiques du sexe, y compris la drague.

Sous ce nouvel éclairage, Casanova perd de sa splendeur. Celui qui déclarait « ne pas connaître d'occupations plus importantes que le sexe » serait sans doute aujourd'hui pris en charge pour un traitement sévère. Si Warren Beatty n'avait pas dépassé les 74 ans, on y songerait aussi, lui qui aurait eu plus de 13.000 maîtresses, selon la biographie non autorisée que lui consacre Peter Biskind. Bref, tous ceux que l’on désignait autrefois dans les nobles termes de Don Juan ou de grands séducteurs, mériteraient aujourd’hui un traitement médical : acteurs, chanteurs mais aussi certains de nos politiques, qu'on trouverait aujourd'hui priapiques, pour maintenir un dernier soubresaut de respect.
Sous ce même éclairage, les femmes fatales cessent de l'être : celles qui étaient décrites, avec une certaine admiration, comme sexuellement insatiables, comme Cléopâtre, Ninon de Lenclos qui soixante ans durant fit succomber tous les plus grands seigneurs de la cour, ou Catherine II de Russie, connue pour son appétit sexuel, ses nombreux amants – et ses meubles qui montraient des verges en érection et des vulves gourmandes – , sont également montrées du doigt.

Revenons un instant sur ce qui est maintenant une pathologie à traiter dans ses différentes phases (obsessions, ritualisation, désespoir, etc.), avec un « malade » qui dissimule sa dépendance à un système de récompense à ses proches et s'isole de plus en plus dans sa souffrance. Patrick Carnes parle d'une « pulsion à laquelle on ne peut résister ». Pour ce dernier, concepteur du programme de réparation au Pine Grove Behavioral Health and Addiction Services, où Tiger Woods s'est fait soigner, si une personne répond positivement à une seule des questions suivantes, il est conseillé de prendre contact pour suivre un traitement : Avez-vous eu des difficultés à résister à une envie sexuelle ? Avez-vous essayé de réfréner vos envies ? Avez-vous eu envie de vous tuer à cause de vos pulsions sexuelles ? Avez-vous souffert de conséquences légales ? Passez-vous beaucoup de temps à trouver le moyen d'avoir des rapports sexuels ? Etes-vous de mauvaise humeur ou irritable sans rapports ? Etes-vous inquiet de ce que certains puissent connaître vos activités sexuelles ? Etes-vous préoccupé par des pensées sexuelles ? Pensez-vous que votre comportement sexuel est anormal ? Avez-vous des problèmes avec votre famille à cause de votre comportement ?

Si ce simple test fait foi, alors beaucoup d'entre nous seraient éligibles pour un traitement, dans la mesure où l'avant-dernière question au moins est une préoccupation constante, sans définition possible de ce que serait la « normalité sexuelle ». D'autres, moins fantasques, parlent d'addiction dès lors que la masturbation dépasse les 15 fois par jour, et que la recherche de nouveaux partenaires se satisfait autour de deux ou trois par jour. Mais devrait-on alors dire que les gays des backrooms souffrent des mêmes maux, eux qui ont fréquemment plusieurs partenaires dans une même nuit ? Pourtant, ils ne connaissent pas cette phase dépressive après l'amour, dont parlent les médecins. Alors à quel moment cette « pulsion de vie » de Freud devient-elle une maladie ? Et où se situe exactement la souffrance si, au moment de l'acte, la libération de molécules comme la dopamine et l'ocytocine, que certains comparent à de puissants antidépresseurs, soulage au moins momentanément celui qui est en souffrance ? Court-on dans ce cas les mêmes dangers que ceux qui soufrent d'addictions à la drogue ou à l'alcool, où il y a bien une destruction du corps ? Où est la destruction si le « malade » peut continuer de travailler, de communiquer, souffrant tout au plus de difficultés de communication, ce qui touche une population bien plus vaste que celle des seuls addictes ? La science, pour l'instant, reste prudente et c'est encore plus une affaire de journalistes que de scientifiques ; même si des cliniques surfent toutefois sur la vague. Il semble pour certains que c'est le retour de la morale qui encourage à trouver suspicieuses des pulsions trop fréquentes. Comme il est loin le temps où le paysan, dont la maison était avant tout un lieu de travail, conduisait ses ébats dans les foins ou les herbes, quand le plaisir venait. Tout aussi loin que le temps où la marquise retroussait sa jupe et suivait son envie sans attendre, aussi naturellement que de boire ou manger, la pudeur n'ayant vu le jour qu'au XVIIIe siècle et n'étant devenue une norme qu'au siècle suivant.

Il faut se souvenir des effets de l'ouvrage du médecin suisse Samuel Auguste Tissot, qui publia en 1760, un best-seller salué par Kant, Voltaire et plus tard Napoléon : l'Onanisme, dissertation sur les maladies produites par la masturbation, petit traité médical rapportant tous les méfaits de la masturbation. Pour lui, cela engendrait perte de la force physique, de la mémoire, de la raison, baisse de la vue, surdité, rhumatismes, perte d'appétit, maux de tête et autres balivernes qui auront traumatisé des populations entières pendant plus de 2 siècles.

Le film de Steve McQueen, outre ses qualités cinématographiques, qui traite officiellement de cette nouvelle addiction, montre délicatement les fragiles équilibres affectifs entre un frère et une soeur. L’un, aisé, a recours au sexe virtuel, à la masturbation un peu n’importe où, à la prostitution, incapable de vraies relations. L’autre, sans emploi pérenne, livre son corps, aux premiers venus et s'enflamme. Ensemble, ils croisent leur solitude, sans entendre leurs souffrances mutuelles. Si les scènes de sexe sont à peine effleurées, c’est peut-être que le vrai sujet du film serait la difficulté que nous avons à créer un lien solide aux autres, dans un monde où il faut tout miser sur les apparences et où les amitiés et les amours passent de plus en plus par le virtuel.
Un sujet dont les conséquences sont peut-être autrement plus préoccupantes que la fréquence de nos rapports.

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