Encore une pièce dans la machine à casser #MeToo et #BalanceTonPorc en France. Cette fois-ci, ce n'est ni Catherine Deneuve, ni Brigitte Bardot ou encore Catherine Millet mais l'animateur Laurent Ruquier.
Dans une interview parue jeudi 16 août dans le magazine Le Point, l'animateur d'On n'est pas couché est interrogé sur les mouvements #MeToo et son pendant français de Balance ton porc. Il plonge comme les autres en pleine culture du viol.
Quand on lui demande ce qu'il en a pensé, il ne dément pas l'utilité du mouvement mais l'accuse d'être allé trop loin, à cause des réseaux sociaux : "On ne peut pas être contre parce qu'on voit bien que ça fait évoluer les mentalités, mais il y a des excès. Ce mouvement-là a été une prolongation excessive des progrès qu'on devait faire dans l'égalité hommes-femmes et sur les questions de harcèlement. Mais dénoncer certains hommes sans preuve, ou par un simple tweet, c'est aller trop loin."
Laurent Ruquier semble oublier qu'en France le mouvement n'a pointé du doigt que très peu de personnes. On peut citer timidement Luc Besson accusé de viol par l'actrice Sand Van Roy, ou encore le journaliste de LCP Frédéric Haziza.
Une journaliste de la chaîne, Astrid de Villaines, avait porté plainte contre lui pour lui avoir pincé les fesses. Elle avait expliqué que le mouvement #MeToo lui avait donné le déclic pour agir. A la suite de cette plainte, il a été notifié à Frédéric Haziza un rappel à la loi le 11 juillet dernier. Pour se défendre, ce dernier explique lui avoir seulement "pincé le mollet".
On est donc bien loin de la "chasse aux sorciers" évoquée par les détracteurs de #Balancetonporc.
Malheureusement aussi, encore une fois, on accuse les personnes qui parlent d'aller trop loin, on ne les croit pas, un grand classique. Mais c'est parce que Laurent Ruquier pense à son ami de longue date, l'animateur québecois Gilbert Rozon, animateur de La France a un incroyable talent, qui est aussi son ancien producteur.
L'homme est accusé par plusieurs femmes de harcèlement ou de viol et a dû démissionner de toutes ses fonctions. Alors Laurent Ruquier le défend : "Je trouve ça dingue la vitesse à laquelle on l'a rayé. D'abord, un ami est un ami. Mais ensuite, Gilbert n'a tué personne, et à ma connaissance - j'attends que la justice prouve le contraire - violé personne."
Il donne cette justification qui fait effectivement bondir les féministes à raison, et qui sert de manière habile a essayer d'enlever à leurs auteurs la responsabilité de leur acte : "Qu'il ait été un dragueur lourd, oui, mais de là à le lâcher du jour au lendemain et de l'enfoncer publiquement, j'ai trouvé ça choquant. C'est de l'ingratitude venant de personnes qui lui devaient beaucoup." Avant d'ajouter : "Tout le monde va toujours dans le sens du vent. Ce qui est courageux, c'est de dénoncer quelqu'un quand personne ne le fait."
Pour dénoncer les faits dont on a été victime, il faut du courage. Nous ne sommes pas toutes et tous armé·e·s face à un système de domination patriarcale qui pour beaucoup était devenu tellement banal et intégré qu'il semblait vain de le dénoncer.
Ce commentaire intempestif est une petite claque pour toutes les victimes qui ont enfin osé parler. La phrase : "Il n'a tué personne", fait déjà beaucoup réagir. Laurent Ruquier va sûrement devoir se remettre à niveau sur la "culture du viol". Certain·e·s se demandent sur les fameux réseaux sociaux qu'abhorre Laurent Ruquier - eux qui sont capables du pire comme du meilleur- s'il eut fallu que les femmes soient mortes pour qu'elles eut été enfin prises au sérieux.
C'est aussi un mauvais message pour toutes celles et tous ceux qui ne se sentiraient pas encore le courage de parler. Rappelons qu'en France, pour les seuls viols, seules 9 % des victimes portent plainte. Seulement 9 %. Comment alors parler d'effet de mode.
A la demande des journalistes, il évoque aussi la blague de mauvais goût de son ami Pierre Bénichou dans l'émission qu'il anime Les Grosses têtes sur RTL : "Celles qui veulent monter dans ma chambre montent dans ma chambre. Les autres changent de métier".
Laurent Ruquier répond : "C'est quand même quelqu'un qui a 80 ans ! On peut comprendre qu'un monsieur de cet âge-là, qui a toujours vécu avec ces idées, ait un peu de mal à accepter ça et qu'il fasse encore ce genre de plaisanterie. Si on prône la tolérance, il faut aussi savoir être tolérant face à cela. Cela va dans les deux sens."
Il ajoute : "Et avec cette blague, Pierre se moque de lui-même parce qu'il est un progressiste. Je suis bien plus choqué par ce qu'écrit Sylvain Tesson dans Un été avec Homère : il n'y a pas plus réac que ce bouquin. Mais comme il a la carte, personne ne relève ses petites phrases."
On lui demande ensuite s'il pense, lui qui a lancé tant d'humoristes, si ces dernier·ère·s aujourd'hui s'autocensurent. Il en est convaincu, c'est le cas pour la radio et la télévision mais pas forcément pour la scène : "Ce qui est dramatique, c'est que pour faire le buzz la presse amplifie un microdérapage. Comme la mauvaise blague de Tex".
Tex qui avait ironisé sur les femmes victimes de violences de la part de leur conjoint et qui après une série de commentaires du même genre, avait fini par être viré du service public. Laurent Ruquier admet quand même : "Même si, manifestement, c'était un garçon qui les multipliait."
Pourtant, dans la même interview, Laurent Ruquier sait reconnaître les excès qui peuvent exister dans sa propre équipe. Lorsqu'il invite Eddy de Pretto par exemple et que Bernard Mabille lui demande : "Vous êtes de la fanfare ?". L'animateur des grosses têtes est mal à l'aise : "C'était gênant. Je lui ai expliqué qu'il fallait qu'il perde ses vieux réflexes." Il serait donc de bon ton (même si on parle de "bon ton" et que Laurent Ruquier n'aime pas le "politiquement correct") qu'il en fasse de même pour le sexisme.
Il raconte aussi avoir été "indifférent" aux militants d'Act Up pendant sa jeunesse, les trouvant "trop extrémistes". La même chose qu'il reproche aujourd'hui aux militant·e·s féministes. Il raconte avoir changé d'avis en voyant le film 120 battements par minute : "J'ai réalisé que ces militants avaient raison et que c'est grâce à eux que les choses ont évolué." On vous attend donc à bras ouverts du côté de ceux et celles qui luttent pour la libération pleine et entière de la parole !