Attendue autant que redoutée, l'adaptation du "Consentement" de Vanessa Springora par la cinéaste Vanessa Filho s'impose comme un grand film féministe. Sa mise en scène plus réfléchie qu'on ne le pense délivre un discours intelligent sur l'emprise, la domination et les violences patriarcales, notamment en nous plongeant dans la tête de l'agresseur - contrairement au récit originel.
Comme nous vous le racontons longuement ici, c'est la mise en images de ce film, symbolique mais aussi très crue, et sa narration, qui bousculent le public. Mais tout le monde n'a pas été convaincu par cette transposition des mots de Vanessa Springora nous narrant comment, à l'âge de 14 ans seulement, elle a été prise entre les griffes de l'écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de 50 ans.
Les médias féminins et féministes sont dubitatifs. Comme le site Madmoizelle ou le magazine Causette. Mais pas que. Une autre voix remet en cause la pertinence de ce film, et pas la plus anodine : celle de Christine Angot.
Une parole importante. Angot a signé plusieurs romans fondamentaux sur l'inceste et les violences sexuelles, dont le dévastateur Le voyage dans l'est. L'autrice est d'ailleurs citée dans un récit tout aussi puissant et nécessaire sur le sujet, potentiel prix Goncourt : Triste Tigre de Neige Sinno.
Alors forcément, son avis sur Le consentement compte. Verdict ?
Attention, ça fait mal.
Sur les ondes d'Inter, Christine Angot a rappelé lors de sa chronique qu'elle avait beaucoup aimé le livre de Vanessa Springora (aujourd'hui responsable d'une collection féministe) : "Par l'acte d'écrire, Vanessa Springora sortait du cadre, qui la mettait sur le même plan que Matzneff, dans une chambre, dans un lit, dans des draps. Son livre devenait politique".
Mais elle ne peut pas en dire autant de son adaptation...
La romancière ne mâche pas ses mots : "C'est un retour en arrière. L'homme [Gabriel Matzneff] et la fille [Vanessa] y sont filmés comme un couple, un couple moderne, tremblant sous les caresses".
"Comme en plus il fallait que l'actrice soit majeure pour qu'on puisse la dénuder, l'image devient l'alliée objectif de Matzneff, qui n'en demandait pas tant, et qui doit bien se frotter les mains"
Pour Christine Angot, quelque part, le film de Vanessa Filho sombrerait précisément dans ce qu'il cherche à dénoncer, par sa manière de nous présenter les séquences les plus crues. La façon dont la relation entre Matzneff ("G.M" dans le livre) et Vanessa est saisie serait très dérangeante.
Cela rejoint plutôt l'opinion du média Madmoizelle, pour qui le film serait avant tout un "mauvais biopic de Gabriel Matzneff", croulant sous des "scènes de reconstitution atroces" et "extrêmement longues". Alors que le choix d'épouser le point de vue de Gabriel Matzneff contribue précisément à l'étude de de la domination et de l'emprise qui intéresse la cinéaste, pourrait-on suggérer.
Si la chose est dérangeante, c'est que le film, par ses choix de mise en scène, donne précisément à voir le point de vue de Matzneff, tout comme celui de Vanessa, dans un récit de brouillage de repères, car d'emprise.
Ce qu'il y a de fort dans le film, c'est aussi son art du contrechamp. On pense à cette scène de chambre d'hôtel où à un plan sur Vanessa, observant son lycée, succède un contrechamp brutal sur Matzneff (Jean-Paul Rouve), nu, le sexe en évidence, assis sur le lit, pathétique.
Mais pour Christine Angot, ce film malgré ses intentions sombrerait surtout dans les clichés : "Sur le sujet, on peut faire ou des films de guerre ou des films porno. Là, il y a des tremblements érotiques, des culottes blanches Petit Bateau qui volent. Une lumière David Hamiltonisée".
Ouch.
Pourtant, Vanessa Springora elle-même a contribué à l'écriture de cette adaptation. Et la romancière d'ailleurs n'envisage pas les scènes de nudité de la même façon. A l'écouter, elles servent le discours de son livre. Elle le raconte, sur les ondes de France Inter aussi d'ailleurs :
"Artistiquement, le film apporte quelque chose que les mots ne peuvent pas atteindre de la même manière, cette frontalité de l'image. Dans la prise de conscience des violences sexuelles vécues par les mineures, c'est très important de montrer ce choc visuel, que peut-être par pudeur je n'ai pas creusé autant que j'aurais voulu le faire".
"Au cinéma, on peut atteindre cette violence-là".
Par-delà ces points de vue, au sein des médias féministes, c'est surtout du côté de Marie Claire que la journaliste Emily Barnett défend ce projet, ses choix de réalisation, son découpage, notamment lors des séquences intimes. Qu'on se le dise, Le consentement n'a vraiment pas fini de faire parler.