Les Londoniens attendaient le premier musée de l'histoire des femmes, mais c'est finalement un établissement dédié à Jack l'éventreur qui a ouvert au 12 Cable Street en juillet dernier. Depuis, locaux, historiens, médias, et associations féministes se demandent : pourquoi a-t-on préféré ouvrir un musée célébrant les violences faites aux femmes plutôt qu'un musée consacré à la réussite de ces dernières ? Si le propriétaire, Mark Palmer-Edgecumbe, a d'abord promis que cet espace raconterait l'histoire du quartier de l'East End "du point de vue des femmes", les premiers visiteurs se sont rapidement rendu compte qu'ils avaient été induits en erreur. Le musée Jack l'éventreur propose un parcours de mauvais goût et mise sur le sensationnalisme plutôt que l'histoire.
Début octobre, l'historienne Fern Riddell relatait ainsi sa visite du musée sur le site du Telegraph : "L'une des premières choses qui vous frappe en entrant, c'est les enregistrements diffusés en boucle de femmes en train d'hurler. A l'étage, une statue de cire macabre de Catherine Eddowes – la quatrième victime de Jack l'éventreur, assassinée en 1888 – est assise dans une pièce quasiment vide. C'est ici qu'on trouve les quelques feuilles A4 parlant des victimes dans tout le musée qui compte six étages".
Pour l'historienne, l'établissement est une mauvaise attraction, bourrée d'anachronismes et qui s'intéresse peu à la vie des femmes qui ont trouvé la mort à Whitechapel en 1888. "Leurs meurtres violents sont présentés hors contexte. A la place, on se retrouve avec une violence sans nom infligée à des femmes sans noms. Cet endroit qui se prétend être un musée profite uniquement de la victimisation des femmes et ne contient aucun élément récent de recherche concernant l'éventreur", explique-t-elle encore.
Outre le contenu du musée en lui-même, ce qui choque les Britanniques, c'est aussi la communication plus que bancale. Lorsque ce ne sont pas les personnes en charge des réseaux sociaux de l'établissement qui évoquent les six victimes de l'assassin (on en dénombre en fait cinq), c'est carrément le chargé de communication qui prend la défense de la réputation de Jack l'éventreur sur Twitter. Depuis, l'employé a rétracté ses propos et le propriétaire tente de réparer les pots cassés. Mark-Palmer Edgecumbe a ainsi nommé un conseil consultatif composé uniquement de femmes pour calmer les critiques.
Le problème ? Malgré cette nomination survenue un peu plus tôt en octobre, le musée de Jack l'éventreur continue d'être au coeur des controverses. Pour Halloween, il était ainsi proposé aux visiteurs de prendre des selfies avec "le serial killer et le corps de Catherine Eddowes". On pouvait également lire dans le communiqué de presse : "Êtes-vous assez courageux pour rencontrer l'éventreur dans la chambre de Jane Kelly – scène de l'un de ses meurtres les plus horribles ?"
Sur les réseaux sociaux, la réponse ne s'est pas fait attendre. Les twittos ont ainsi été nombreux à reprocher au musée de transformer cette sordide histoire en événement fun pour Halloween. Mais la colère de certains Britanniques n'a rien changé. Le compte Twitter du musée a partagé de nombreuses photos "de l'assassin" accompagné des visiteurs et compte bien garder ses portes ouvertes.
Comme le note le Telegraph, l'historienne Sara Huws et l'écrivaine Sarah Jackson (à qui l'ont doit un livre sur les Suffragettes), ont monté un site Internet pour demander à des volontaires de les aider à bâtir enfin un musée dédié à l'histoire des femmes. On peut ainsi lire sur le site :
"Lorsque la proposition de l'ouverture d'un musée sur l'histoire des femmes sur Cable Street s'est avérée être une excuse pour faire de l'argent sur le dos d'un tueur misogyne, nous avons décidé de faire du musée disparu une réalité. Nous construisons un musée pour partager la riche histoire des femmes de l'East London. Nous avons besoin de votre aide, nous voulons entendre votre voix. (...) Nous voulons avoir une approche intersectionnelle. Nous voulons faire entendre les voix des femmes qui ont été poussées aux marges de la société et de l'histoire. East London a une histoire riche en politique, culture et questions de société et les femmes en ont toujours fait partie, bien que leur voix soit rarement entendue. Voilà les histoires que nous voulons raconter, les histoires qui ont illuminé les vies des femmes de ce quartier – et pas seulement leurs morts".
Un musée intelligent et qui met en avant l'histoire... à l'opposé de celui ouvert depuis juillet au 12 Cable Street donc.