Inutile de chercher les femmes sur ce cliché : vous ne les trouverez pas. Dans son numéro publié le 29 août, le magazine économique Capital offrait un coup de projecteur à l'innovation made in France. Chemises blanches et sourire ultra-bright : onze start-uppeurs posent devant un Paris de carte postale pour montrer qu'ils jouent "maintenant dans la cour des grands", dixit l'article. Problème : parmi ces membres de la "start-up nation" si chère à notre président, aucun n'est une femme. Ce qu'ont dénoncé avec force de nombreux internautes sur Twitter, choqués que personne, à la rédaction de Capital, n'ait été interpellé par ce manque flagrant de mixité pour mettre en lumière les "pépites de la tech".
Elles existent pourtant, les créatrices d'entreprises qui font bouger les lignes, créent des emplois et participent activement à faire grandir l'aura innovatrice de la France. La preuve avec la Journée de la Femme Digitale (JFD), qui réunit chaque année depuis 2013 des milliers de femmes travaillant dans le numérique et qui y échangent, s'inspirent et se projettent dans un monde qu'elles contribuent à créer.
C'est cette mise de côté des femmes entrepreneures, cette invisibilisation forcée de l'innovation au féminin que Delphine Remy-Boutang a voulu dénoncer. Créatrice de l'agence de conseil digital The Bureau et fondatrice de la JFD, l'entrepreneuse a décidé de contre-attaquer en donnant un autre visage à la création française. En reprenant les codes de la photo publiée dans Capital, ce sont cette fois-ci treize start-uppeuses qui ont pris la pose pour montrer qu'elles comptent tout autant que leurs confrères. Parmi elles, Fany Pechiodat (MyLittleParis), la directrice de Paris Pionnières Caroline Ramade, Anne-Christelle Pérochon, CEO de BIM ou encore Claude Terosier, fondatrice de Magic Makers, qui prouvent que les femmes aussi peuvent innover.
Certes, les femmes sont encore minoritaires dans le secteur du digital, puisqu'elles représentent aujourd'hui un peu moins de 30% des effectifs. Pourtant, Delphine Remy-Boutang veut croire qu'un jour, les femmes reprendront la place qui est la leur : celles de pionnières dans le secteur du numérique et des nouvelles technologies. "Il faut arrêter de dire que le digital est un levier d'émancipation pour les femmes. C'est Margaret Hamilton, c'est Grace Hopper, c'est Ada Lovelace qui ont contribué à l'émergence du digital", nous rappelait-elle en mars dernier à l'occasion de l'édition 2017 de la JFD. C'est d'ailleurs bien parti : 40% des jeunes pousses installées à la Station F, le plus gros incubateur de start-up du monde, sont des femmes.
Parce que l'innovation au féminin est multiple, l'initiative des start-upeuses portée par Delphine Remy-Boutang a depuis inspiré d'autres créatrices d'entreprise. À l'appel de Céline Puff-Ardichvili (agence Look Sharp), Caroline Renoux (Birdeo) et Guillaume Richard de Vesvrotte (Pixelis), 70 entrepreneures ont posé sur les marches de la Bourse, à Paris. . "J'ai donné rendez-vous à tout le monde place de la Bourse sans imaginer qu'on serait si nombreuses, parce que je participais au salon Convergences qui se déroulait au palais Brongniart. Quand je me suis aperçue qu'on serait plusieurs dizaines, j'en ai parlé à la directrice de l'événement, Emilie Poisson, qui nous a accordé son soutien actif et nous a facilité l'organisation de la photo sur les marches du palais Brongniart", explique à Challenges Céline puff-Ardichvili.
Depuis, ces deux offensives ont fait des émules dans d'autres villes françaises. À Nantes ou encore à Laval, des start-upeuses se sont réunies pour prouver que les femmes sont bien présentes dans le numérique... et aussi pour donner à celles qui ont envie de se lancer des rôles modèles. "Aujourd'hui, on a besoin de rôles modèles. Il faut engager la mise en oeuvre de politiques actives pour recruter, promouvoir et retenir les femmes dans le secteur du numérique, qui est économiquement le plus porteur pour l'emploi", affirmait Delphine Remy-Boutang au printemps. On espère que Capital a retenu le message.