C'est du moins l'idée défendue par Meghann Foye. Elle a expliqué dans un article pour le New York Post que selon elle, toutes les femmes mériteraient un congé maternité, même si elles n'ont pas d'enfant. A première vue, c'est pour le moins paradoxal, pour ne pas dire incompréhensible. Mais pour Foye, il s'agirait en fait de prendre un congé payé afin de pouvoir "se concentrer sur les aspects de sa vie qui ne tournent pas autour du travail". Elle a développé cette idée dans son nouveau roman, Meternity (un jeu de mot sur "maternité" et "moi", "moi-ternité" en français), qui parle d'une femme qui feint une grossesse pour avoir enfin du temps pour elle.
Foye, aujourd'hui 38 ans, raconte au New York Post qu'elle a eu cette idée quand elle travaillait comme éditrice dans un gros magazine en 2009. Après dix années intensives à valser entre les deadlines, elle s'est mise à devenir "envieuse" des parents qui "quittaient le bureau à 18h pour s'occuper de leurs enfants, pendant qu'il était entendu que leurs collègues sans enfants resteraient plus tard pour rattraper le retard". Elle décrit dans son article la sensation d'être "tenue en laisse" par son travail. Elle devait délaisser totalement sa vie personnelle, qui n'était pas prise en considération puisque de toute façon, elle n'avait pas d'enfant.
"Lorsqu'on dit "Je dois aller chercher mes enfants" pour quitter le boulot, ça a plus de poids que "ma meilleure amie s'est fait poser un lapin et elle a besoin d'une margarita" - alors que dans les deux cas, il s'agit de votre vie personnelle".
Selon elle, avoir des enfants serait devenu le seul moyen pour une femme de revendiquer son droit à une vie personnelle épanouie et de se garantir un minimum de flexibilité au travail. Elle insiste sur le fait que suivre un chemin "traditionnel" (mariage puis bébé) est l'unique manière d'obtenir le droit de s'accorder du temps pour soi. Si l'on suit un autre chemin, notre vie privée ne rentre plus en ligne de compte. Ce congé maternité pour tous permettrait ainsi selon elle de donner l'opportunité à toutes les femmes, quels que soient leurs choix de vie, de se concentrer sur elles. Une nécessité lorsqu'on regarde les chiffres de l'Institut national de veille sanitaire en 2015 pour les burn-outs : 3% des femmes en seraient victimes contre 1,4% d'hommes. La raison ? Les femmes seraient moins douées que les hommes pour faire passer leurs besoins en premier et s'épuiseraient plus vite à gérer de front vie professionnelle / vie personnelle. D'où la nécessité pour l'auteur de Meternity de permettre à toutes les femmes de prendre du temps pour prendre soin d'elles.
Des congés maternité pour tous, soit 6 semaines de congés payés afin de se concentrer sur soi : si l'idée paraît séduisante, elle n'a pas manqué de soulever de vives critiques. Kyle Smith, chroniqueur pour le New York Post, a d'ailleurs répondu avec virulence à Meghann Foye dans son journal. Pour lui, ce congé maternité pour les femmes sans enfant remet en question le bien-fondé du véritable congé de maternité. Cette proposition revient à diminuer son utilité réelle et à le décrédibiliser. Ce qui, vu la bataille menée pour l'obtenir et le faire respecter, est loin d'être une gloire. Pour Kyle Smith, il y a une différence de taille entre une femme qui vient d'accoucher et les autres : on ne peut pas mettre sur le même plan une mère qui vient de subir une césarienne et qui enchaîne les nuits de 3h de sommeil avec un nourrisson à allaiter et une femme qui a tout simplement besoin de vacances pour "commander un verre de chardonnay et binge-watcher des séries", reproche-t-il avec férocité à Foye.
Il rappelle qu'un congé maternité n'est pas un luxe, mais une absolue nécessité pour aider les jeunes mamans à se remette du challenge physique et émotionnel que représente la naissance d'un bébé – et que le considérer autrement est tout simplement "immature". Quand aux mères partant à 18h, Kyle Smith rappelle que cela se fait à leurs dépens : elles suivent le "chemin des mamans" ("Mommy Track") c'est-à-dire, comme l'explique très bien Brett Ryder dans The Economist, qu'elles travaillent 40h par semaine à la place de 80, mais en acceptant d'avoir moins de responsabilités et de poids dans l'entreprise. En allant chercher leurs enfants à 18h, elles consentent à perdre des opportunités professionnelles pour privilégier leur vie de famille. La maternité a toujours un impact important sur les carrières des femmes, et le minimiser en les jalousant du fait de leurs horaires ou de la "valeur" accordée à leur vie privé est un manque de discernement qui nuit aux droits des femmes dans le monde du travail.
Certes, l'idée du congé maternité pour les femmes sans enfant peut paraître choquante ; mais elle a le mérite d'attirer l'attention sur la frustration des femmes sans enfant au sein du monde du travail. Quelque part, le problème auquel Meghann Foye tente de répondre avec son congé maternité pour toutes est le manque d'attention accordée aux femmes qui ne sont pas mères dans le monde de l'entreprise. En France, la femme a des droits dans le monde du travail en tant que mère uniquement : congé maternité, sécurité d'emploi pendant la grossesse, flexibilité des horaires... Mais un malaise subsiste quand on doit considérer les droits des femmes qui n'enfantent pas : d'emblée, on suppose que leurs besoins seront moins importants et moins prioritaires que ceux d'une maman. Une volonté inconsciente de leur faire payer leur "égoïsme" ? Elles ne s'occupent pas d'autres qu'elles donc elles peuvent travailler plus. Elles ont moins le droit d'avoir une vie privée, ou du moins, cette dernière est déconsidérée (comme le montre la tirade méprisante de Smith sur le "verre de chardonnay": une femme sans enfant demeure un égoïste oisive et infantile) et pèse moins dans la balance.
On est en fait presque dans une logique effrayante de "sois mère ou tais-toi", dénoncée par ailleurs parle reportage d'Arte du 29 janvier, "Femmes sans enfant, femmes suspectes". Il subsiste dans la société une antipathie larvée et une méfiance inavouée pour les femmes qui n'ont pas d'enfant, comme le rappelle Claire Hache dans L'Express : une preuve supplémentaire que les préjugés sociétaux ont la vie dure. Pour la journaliste, une femme sans enfant, c'est une femme qui sort du rôle qui lui est désigné culturellement : enfanter pour veiller à la pérennité de la société. Et trop souvent, elle est perçue comme menaçante et émasculinisante puisqu'elle abdique son droit à l'enfantement pour revendiquer son droit à mener sa vie telle qu'elle l'entend - ce qu'un homme fait tout naturellement. Ainsi, loin de vouloir dénigrer les difficultés des femmes qui travaillent tout en élevant des enfants, l'idée de Meghann Foye rappelle la nécessité de prendre conscience de la pression exercée sur les femmes sans enfant dans le monde du travail. On peut être femme sans avoir à être mère, et toute femme devrait pouvoir réclamer le respect de ses besoins, indépendamment de sa capacité à faire marcher son utérus.