Le débat sur le manque de diversité à Hollywood n'est pas près de s'arrêter. Alors qu'il y a tout juste un mois, professionnels et associations s'emportaient contre les Oscars et l'absence d'acteurs de couleur dans les nominations , le site Deadline remet de l'huile sur le feu avec un article consacré aux séries télé aussi racoleur sur le fond que sur la forme. Le titre ? "Pilotes 2015 : l'année des castings ethniques – Il était temps ou trop de bonnes choses d'un coup ?" Grosso modo, la journaliste Nellie Andreeva se demande si en castant de plus en plus de minorités dans leurs programmes, les producteurs ne seraient pas en train de couper l'herbe sous le pied aux acteurs blancs. Elle écrit ainsi :
"Au lieu d'ouvrir les castings aux acteurs de n'importe quelle race, il y a eu cette année un nombre significatif de rôles créés directement pour les acteurs de couleur. Cette décision empêche les acteurs caucasiens d'auditionner pour certains rôles, rapportent certains agents de stars. Plusieurs pilotes mis en route cette année étaient ouverts à toutes les ethnies, mais lorsque le représentant d'un acteur téléphonait pour en savoir plus, on leur a fréquemment répondu que seuls les personnes non caucasiennes seraient vraiment considérées."
Pour étayer ses propos, la journaliste explique que les récents succès de séries mettant en scène des héros afro-américains et latinos comme How to Get Away With Murder, Jane the Virgin (auréolée d'un Golden Globe) et Empire (déjà renouvelée pour une saison 2), poussent les producteurs à choisir la diversité même quand ce n'est pas nécessaire. Elle rapporte ainsi le cas de The Advocate, commandée par ABC. Basée sur la vie de Byrdie Lifson-Pompan et du docteur Valerie Ulene, cette série devrait raconter comment un agent littéraire reconvertie en avocate et un médecin ont choisi de défendre des patients perdus face au système de santé américain. "Alors que les deux femmes qui ont inspiré cette histoire sont caucasiennes, une actrice blanche, Kim Raver, donnera la réplique à une actrice noire, Joy Bryant", écrit-elle. Ce changement dans le casting pourrait donc modifier le fond de l'histoire ?
Voilà un raisonnement qui tombe bien vite à plat quand on fait la liste de tous les acteurs blancs qui ont prêté leurs traits à des héros de couleur. Pêle-mêle : Elizabeth Taylor dans la peau de Cléopâtre, Angelina Jolie dans celle de l'afro-américaine Mariane Pearl (Un coeur invaincu), Jake Gyllenhaal dans le rôle de Prince of Persia (un personnage censé être Iranien), le casting 100% blanc d'Exodus (Christian Bale en Moïse !), ou encore Johnny Depp et Rooney Mara qui ont tous deux joués des Indiens d'Amérique – lui dans Lone Ranger, elle dans le nouveau remake de Peter Pan bientôt en salles. Alors que la question de représentation des Amérindiens aux Etats-Unis est souvent sujet à controverse , Hollywood s'en lave les mains.
Paru ce 24 mars, l'article de Deadline a particulièrement choqué Shonda Rhimes, qui a été l'une des premières personnalités à réagir sur Twitter. Depuis qu'elle a créé Grey's Anatomy en 2005, la célèbre productrice afro-américaine a toujours mis un point d'honneur à mettre en scène des castings multi-ethniques. Ses héroïnes noires (Scandal, How To Get Away With Murder) n'ont d'ailleurs pas manqué d'inspirer les autres scénaristes et producteurs, de plus en plus à l'aise avec la diversité sur le petit écran.
Avec hargne, Shonda Rhimes s'est emportée : "Ma première réaction : AH NON. Laissez-moi enlever mes boucles d'oreille, que quelqu'un tienne mon sac. Ma seconde réaction : cet article est tellement ignorant qu'il ne peut même pas m'ennuyer". Très vite, la papesse de la télé US a été rejointe par d'autres personnalités telles que Dan Harmon, le créateur de la série Community, Billy Eichner, acteur dans Parks & Recreation, Nia Vardalos, scénariste et actrice, ou encore Mo Ryan, critique télé du Huffington Post. De leur côté, ni Deadline ni la journaliste Nellie Andreeva n'ont réagi au tollé suscité par l'article.
Malgré les efforts de l'industrie du cinéma américain , l'article de Deadline montre bien qu'il est encore difficile d'être noir à Hollywood. En décembre dernier, l'acteur Chris Rock évoquait ce problème dans un long essai publié sur le site de The Hollywood Reporter . Avec beaucoup de recul et de franchise il écrivait :
"Le cinéma est une industrie de Blancs. Tout comme la NBA est une industrie de Noirs. Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose. C'est juste un fait. (...) Vous pouvez aller voir des films entiers sans voir une seule femme noire. (...) Je vais voir des films presque toutes les semaines, et je peux passer un mois sans voir une seule femme noire dans un véritable rôle parlé. C'est la vérité".