Culture
L'interview girl power de Lou Doillon
Publié le 18 février 2019 à 16:06
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Pour son troisième album, Lou Doillon a décidé de fendre l'armure. Emancipée, elle livre un "Soliloquy" bouillonnant et lumineux. La "fille de" devenue artiste à part entière a répondu à notre interview girl power.
Lou Doillon : son interview Girl power
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Elle se planquait derrière sa jolie folk polie et sa guitare. L'héritage est beau mais souvent lourd à porter. Alors Lou Doillon a décidé de s'alléger, de s'affranchir, d'arrêter de s'excuser, de s'en foutre. Et d'arrêter de faire la "petite chose mourante". Avec Soliloquy, elle sort de sa coquille. La voilà plus rock, plus synthétique, plus sauvage. Et cette nouvelle énergie lui va bien.


Nourrie par l'incandescence de la scène, par les mots d'autrices, par l'introspection, Lou a écrit ses chansons sur la route, entre chambre d'hôtel et tour bus, qu'elle a enluminées avec Benjamin Lebeau, moitié de The Shoes et Dan Levy de The DØ à la production. Et fait s'entrechoquer sa voix graniteuse à celle de Chan Marshall (Cat Power), le temps d'un duo.


Le soliloque, c'est le monologue que l'on se tient à soi-même. Et apparemment, Lou Doillon avait beaucoup de choses à se dire, à nous dire. A l'occasion de la sortie de ce troisième album, elle a accepté de se confier sur les femmes qui l'ont inspirée, sur les hommes, sur le féminisme aussi. Lou parle franc, Lou est cash, ce qui lui avait valu un retour de bâton en 2015. Une polémique dont elle nous dira qu'elle n'a "vraiment pas du tout envie d'en parler". Cela tombe bien, elle avait plein d'autres réflexions à livrer sur cette ère post-#MeToo dans laquelle elle a les pieds fermement plantés.

Terrafemina : Ce titre d'album, Soliloquy, est symbolique, évocateur. Qu'avais-tu envie de raconter ?

Lou Doillon : Pour cet album, c'est vrai qu'il y avait un désir de ramener de la théâtralité, une forme de distance. J'avais fait quelque chose de très intime sur Lay Low. Et c'est ça qui est beau dans ce travail d'album. Il faut tout recommencer à chaque fois et c'est tant mieux. Il y avait un désir de tout remettre en question.

 

On te découvre comme libérée. Quel a été le déclic pour te "réinventer" ?

L.D. : Je voulais y aller plus franchement. J'avais fait trois concerts à Sheffield dans le nord de l'Angleterre, une ville à la scène très rock. Les Anglais sont plus raides avec la musique ! En gros, il fallait y aller, foncer, seule à la guitare acoustique. Et j'ai survécu. Après ces concerts, on m'a dit qu'on ne comprenait pas pourquoi je jouais à la "petite chose mourante". Ça m'a mis une claque. Donc j'ai pris mon courage à deux mains et j'y suis allée franco. Et j'ai décidé de ne plus m'excuser par rapport à ça.

 

Etre "fille de" ne créerait-il pas une forme d'inhibition ? Comment s'affirmer artistiquement et personnellement avec un tel pedigree ?

L.D. : Sur l'assurance, ça détruit, c'est sûr. Après, il y aussi des choses géniales. On découvre des gens insensés, on est proches de personnes qui ont un rapport à la passion, au travail et on voyage et c'est merveilleux. Mais c'est vrai qu'il y a un point commun chez tous les "enfants de", c'est que ça va globalement "moyen". Et on peut vite tomber dans l'alcool, dans la drogue, tout ce qui fait qu'on peut mettre une barrière parce que c'est quelque chose qui fantasmer beaucoup et qui peut provoquer une jalousie insensée. Et il y aura toujours quelqu'un pour venir vous dégommer la tronche.

C'est vrai que si je vais dans un bar et que je commence rigoler, dans la seconde, il va y avoir des personnes qui vont dire : "Heu, ça va, c'est pas parce que t'es la fille de que..." Du coup, être à l'étranger, c'est super pour se lâcher et faire ce qu'on veut.

L'avantage merveilleux, c'est que j'adore observer. Et venant d'une famille qui provoque tellement de réactions, si on est curieux de l'être humain et de ses réactions, c'est génial.

Petite, je regardais juste ce qui se passait et je voyais des choses folles ! Parce que les gens connus sont cinglés, mais ce que cela provoque chez les gens pas connus est cinglé aussi. Donc quelle joie d'être dans ce manège fou. J'ai toujours essayé de garder ce qu'il y a bien dans le deal. Mais la réinvention, c'est un peu compliqué, c'est vrai.

Pour cet album, tu t'es beaucoup nourrie d'autrices comme Syvia Plath ou Ingeborg Bachman...

L.D. : Je n'ai pas fait exprès. Etant quelqu'un sur qui on a mis pas mal d'étiquettes, je déteste en mettre moi-même. Je lis des mecs, des filles... Je lis plutôt ce qui me plaît et ce qui m'émeut. Et c'est vrai que je me suis rendue compte que pour cet album, j'ai lu énormément de filles.

Ce qui me plaisait, c'était par exemple tout le travail sur l'attente et la défense des hommes aussi. Ingeborg Bachman va défendre un amant poète avec une force insensée. Comme les mémoires de Simone de Beauvoir qui sont très troublantes. Elle avait cet engagement très clair sur la force de la femme et quand on lit ses journaux intimes, elle passe son temps à défendre Sartre, à vouloir être là pour lui.

J'aimais bien cette idée qu'il y ait toujours un paradoxe. J'aime beaucoup les femmes qui ont aussi eu le courage d'assumer leur fragilité. Les gens juste forts, garçons comme filles, ça ne m'intéresse pas beaucoup. Ça me fout la trouille ! Par contre, les gens qui avancent avec leurs failles vers le monde, je trouve ça finalement d'un grand courage.

Etre une fille seule sur scène avec sa guitare, ça fait flipper ?

L.D. : Je ne pense pas. Et les seuls mecs que ça fait flipper ont surtout peur d'être "hors sujet" d'une certaine manière. Ce ne sont pas les filles qui font peur, c'est le vide que cela provoque chez les mecs qui leur fout la trouille, je pense. Je suis assez bienveillante avec ce truc-là.

Après, oui, il y a des choses un peu pathétiques, mais c'est toute la société qui doit repenser les choses ! Et ça, je trouve ça très amusant. Je suis auteur-compositeur interprète, c'est rarement dit. On m'appelle "chanteuse". Ce qui me fait marrer... mais pas trop. De l'autre côté, les questions sont systématiquement sur les producteurs. Alors qu'on parle rarement de leurs producteurs aux mecs qui font de la musique... On parle de leur travail à eux.

Et quand il y a un article, les premières lignes parlent de la manière dont je suis habillée. Parfois, je dis aux journalistes : "Pourquoi il y a une description vestimentaire ?" Ces questions-là sont intéressantes parce qu'on ne fait même plus gaffe... Si on se pose les bonnes questions, tout le monde flippera moins aussi. Ce sont des questions de société que je trouve super intéressantes.

Ta mère Jane Birkin a souvent été présentée comme la muse, la "femme de". Comment évalues-tu la façon dont les choses ont évolué ?

L.D. : Je viens d'une génération où la femme forte n'a pas besoin d'être marginalisée. J'ai été une femme seule élevant un enfant et ce n'était pas "marginal". Je peux vivre des histoires avec des mecs, ce n'est certes pas toujours facile pour les mecs en face d'être celle qui ramène des sous ou qui va au travail ou qu'on reconnaît. Mais ça fait partie de la vie aujourd'hui.

Effectivement, c'est assez émouvant que la question ne se pose pas chez nos grands-mères. Et chez nos mères, on a beaucoup fantasmé, mais la question se posait moyennement. Je sais que ma mère a eu peur quand elle est venue en France qu'à cause des couvertures de magazines un peu à poil par exemple, on lui retire la garde de Kate (Kate Barry, la demi-soeur de Lou- Ndlr)... C'est quelque chose d'impensable aujourd'hui. A l'époque, pour faire ce qu'on voulait, il fallait par contre ne pas avoir d'enfants et accepter qu'on allait être beaucoup jugée.


Te considères-tu comme féministe ?

L.D. : Oui et non à la fois, dans le sens où je me considère surtout humaniste. J'aime l'être humain, j'aime les femmes, j'aime les hommes, j'aime les enfants et il n'y a absolument aucune raison morale qui soit entendable pour moi que les gens ne soient pas traités pareil et qu'effectivement, si les mecs étaient payés moins chers que les filles, j'irai marcher dans la rue pour les défendre, donc je pense que ça serait bien que les mecs marchent dans la rue avec les filles pour les défendre aussi.

Quelles sont les trois femmes qui t'ont le plus inspirée dans la vie ?

L.D. : Nina Simone. L'état dans lequel elle se met et ce qu'elle nous donne quand elle est sur scène, notamment un live à Montreux absolument incroyable.

Dorothy Parker dans la littérature qui est dure, mauvaise, critique, critiquable et terriblement vivante.

Et puis, Shirley MacLaine, une actrice qui m'a toujours fait rire, m'a toujours émue et qui avait cet équilibre entre le fort, le fragile, le drôle, le tragique.

L'avancée en matière de droits des femmes que tu attends toujours ?

L.D. : Le salaire égal.

La chanson "girl power" que tu écoutes pour te booster ?

L.D. : Get Gone de Fiona Apple, ça me rend assez fortiche et quand on commence à me gonfler un peu en face, de pouvoir chanter Get Gone, me fait beaucoup de bien.


L'héroïne de série dont tu es fan ?

L.D. : Laura Palmer dans Twin Peaks, mais elle est quand même très absente dans cette histoire. Mais oui, elle me plaît beaucoup, j'adore Twin Peaks.

Ton mantra préféré ?

Il y en a plusieurs mais une à laquelle je tiens beaucoup, je l'ai tatouée sur mon bras et c'est "It's Just a Ride" de Bill Hicks qui est un comique américain.

Qu'est-ce qui te révolte encore en tant que femme ?

Le fait que ça soit si tabou et gênant de parler des règles. Ça arrive à vos mères, à vos soeurs, à vos filles et puis c'est quand même dingo d'être dans une propagande de trouille monumentale et de voir que chaque vente de produits qui ont à voir avec ça parle systématiquement de "Vous n'aurez plus peur", "Vous n'aurez plus honte" et "Vous vous sentirez fraîche" comme si, sinon, on se sentait juste dégueulasses, honteuses et fragiles. Ça, ça me gonfle un peu donc j'en parle et ça me fait rire de voir dans quel état de gêne monumentale ça met les gens et je m'en fous assez.

Cover album Soliloquy de Lou Doillon

Lou Doillon, Album Soliloquy

Sorti le 1er février 2019

Mots clés
Culture musique people feminisme News essentielles Girl power interview
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