Louïz affiche un sourire ému ce 1er février. En moins 24h, sa vidéo a été vue plus de 4600 fois. "Ça peut paraître dérisoire pour certains, mais pour une petite artiste comme moi, c'est colossal", lâche-t-elle sur sa page Facebook. Le clip euphorisant de son single Lundi matin a visé juste. Et pour la "petite artiste" réunionnaise, c'est déjà une grande victoire.
Car Louïz est une chanteuse transgenre. Et depuis des années, la trentenaire native de Saint-Denis (chef-lieu de La Réunion) se bat pour visibiliser la transidentité et faire avancer les droits de la communauté LGBTQIA+. Bien qu'elle ait grandi dans une famille aimante et bienveillante, celle qui arbore aujourd'hui fièrement une écharpe "Queen of Diversity" dans sa vidéo a bien connu ce parcours émaillé de doutes et jalonné de solitude.
"Enfant, j'étais un petit garçon rêveur, dans son monde, un peu à part". Alors que son père la pousse vers le ballon rond ("J'étais le seul fils de la famille"), Louïz préfère jouer à la poupée et lorgne vers la danse. Le papa "tique", mais n'insiste pas. "Je n'ai pas eu conscience de ma 'singularité' lorsque j'étais dans le cadre familial. Pour moi, aucune doute, j'étais une fille."
C'est à l'entrée au collège que Louïz se heurte au regard féroce de ses jeunes camarades. De la violence verbale, des remarques insidieuses, des attaques. "C'est là que je me suis dit qu'il y avait un 'problème' et qu'il allait falloir que je rentre dans le cadre dans lequel on voulait me caser en essayant tant bien que mal d'être un garçon comme les autres." Louïz presse sa mère de lui acheter des vêtements "qui fassent plus garçon", elle tente d'adopter ces fameux stéréotypes "de mecs". Elle en rit aujourd'hui. "Ce n'était pas très réussi". "J'ai toujours eu un physique très androgyne avec une bouche très dessinée, des cils très longs et très noirs. Et beaucoup de gens me demandaient si je me maquillais."
Internet n'existe pas encore à l'époque. Et Louïz grandit sans repères, paumée entre deux identités, sans parvenir à mettre de mot sur ce qu'elle appelle sa "différence". "Je ne savais même pas ce qu'était l'homosexualité par exemple, je ne me posais même pas la question. Alors la transidentité, n'en parlons pas !"
C'est finalement la danse qui sera sa planche de salut dès 13 ans. "Une passion qui m'a sauvé la vie", lâche-t-elle. Une façon de se libérer, de s'approprier son corps. Repérée au sein de sa petite troupe de quartier, Louïz devient coach pour une agence de mannequins. C'est elle qui sera chargée d'enseigner aux modèles l'art de défiler sur un podium. "C'était donc un garçon qui leur apprenait à avoir une démarche plus affirmée et féminine et cela m'a permis de m'exprimer physiquement. Je me sentais enfin en adéquation avec moi-même et dans le bon corps."
Sa transition ? Elle ne la fera que bien plus tard, à la trentaine. "A La Réunion, nous n'avions pas vraiment de modèles. J'avais juste en tête l'exemple d'une personne trans très connue pour ses scandales. Et quand j'ai enfin réussi à me définir comme transgenre, vers 20 ans, j'ai eu peur qu'on me compare à elle. J'ai donc porté ce poids pendant dix ans sans jamais en parler à qui que ce soit, même pas à mes meilleur·e·s ami·e·s."
Son coming-out se fera en douceur. Naturellement. "Tout le monde savait". Viennent alors les regrets d'avoir mis autant de temps à revendiquer son identité. "Je m'en suis beaucoup voulue de m'être brimée, de m'être empêchée d'avancer". Dès lors, Louïz aura à coeur de visibiliser la communauté. Pas question de se cacher : elle veut "aider", libérer la parole, décomplexer, "pour que d'autres personnes ne mettent pas autant de temps que moi et pour permettre les familles à comprendre."
Louïz représentera par exemple la France au concours de beauté Miss International Queen 2020. Elle ne gagnera pas le titre, mais tel n'était pas l'enjeu, au fond. Son objectif : sensibiliser le grand public sur la question des transidentités dans un pays qui manque cruellement de figures emblématiques. "En France, il y a de plus en plus de figures gay et lesbiennes, mais peu de porte-parole trans. Aux Etats-Unis en revanche, ça bouge depuis quelques années, avec Laverne Cox ou les actrices et acteurs de la série Pose par exemple."
Et Louïz a trouvé un autre moyen puissant pour donner de la voix : la musique. "Plus subtil que de taper rageusement du poing", se réjouit-elle. Après avoir cartonné dans des comédies musicales à La Réunion, elle a donc décidé de lancer son propre projet artistique "sans label, sans producteur, sans manager". Un album entier a été enregistré, des compos écrites à l'époque de sa transition. Mais Louïz est déjà passée à autre chose. "Je ne me retrouve plus dans ces chansons nostalgiques". Son empreinte musicale actuelle se veut plus lumineuse, légère et pepsy, à l'image de son Lundi matin pop-electro, dont elle a tourné le clip ultra-inclusif entre deux confinements.
En attendant la fin de cette crise sanitaire qui paralyse le secteur culturel, l'artiste engagée planche sur un futur album qui lui ressemblera vraiment. Parmi ses influences, elle cite en vrac les féministes Angèle, Clara Luciani, Beyoncé ou encore Dua Lipa. Et entre deux rôles dans des courts-métrages et son boulot d'administratrice de production pour un projet de la Philharmonie de Paris visant à donner accès à l'apprentissage de la musique à des enfants issus de milieux populaires, Louïz poursuit inlassablement son travail sur le terrain.
"A La Réunion, il n'y a toujours pas de centre de référence de la transidentité. Quand on décide de démarrer une transition, c'est compliqué, il y a peu de professionnels qui connaissent le sujet. Il faudrait mobiliser nos politiques pour qu'ils ouvrent les yeux et donnent les moyens." Parmi ses projets avec l'association Orizon, un colloque sur les transidentités, un atelier destiné aux jeunes trans en quête de réponses et l'organisation du tout premier festival LGBT à La Réunion. Sans compter les petites vidéos qu'elle poste sur ses réseaux pour lutter contre la transphobie ordinaire.
Louïz, qui s'est empêchée de prendre l'avion pendant de nombreuses années par peur des regards sur son passeport "pas encore à jour", veut déconstruire et combattre les discriminations, toujours avec bienveillance et pédagogie. "Mon entourage accepte pleinement qui je suis. Elles et ils admirent celle que je suis devenue, mais en oublient ce que l'on peut subir au quotidien", explique-t-elle. "Il faudrait que les personnes cisgenres comprennent qu'on a besoin de soutien, qu'on n'en peut plus des attaques bien lourdes."
Dans les messages qu'elle reçoit sur les réseaux sociaux, beaucoup d'amour, de gratitude. Et pas seulement de la communauté queer. "Des personnes qui se sentent marginalisées- grosses ou en situation de handicap par exemple- me remercient de montrer qu'être différent·e peut être une force, cela les porte". Louïz sourit : cela la porte aussi.
Louïz, single "Lundi matin"