En octobre 2012, la Une que le Parisien Magazine consacrait à Arnaud Montebourg faisait sensation. Le ministre du Redressement productif y apparaissait une marinière Armor Lux sur le dos et un robot Moulinex entre les mains. « Le made in France, on y croit, on l'a testé », clamait alors le Parisien, qui, en consacrant sa Une à la promotion de l'industrie française, souhaitait rallumer la flamme patriotique des Français, jetés dans le grand bain de la mondialisation.
Mais peut-on réellement vivre 100% made in France sans manquer de rien et surtout sans exploser son compte en banque ? C'est cette question qui a marqué le point de départ de l'expérience 100% française tentée par Benjamin Carle. Pendant un an, ce journaliste de 26 ans, qui travaille pour Canal +, s'est lancé un défi de taille : consommer durant toute une année exclusivement français, de la nourriture à l'habillement et la décoration, en passant par les loisirs et la culture. « Je suis un enfant de la mondialisation, en 25 ans, j'ai consommé des biens venant de plus de pays que je n'en visiterai jamais », explique-t-il en préambule de Made in France, le documentaire qu'il a tiré de son expérience, et que Canal + diffuse ce soir à 20h50.
Un an sans Game of Thrones, sans café et sans frigo
Exit, donc, le bol matinal de café venant du Pérou, le Mac « designed in California » ou le jean « made in Bangladesh ». Pendant un an, Benjamin Carle cherche à vivre et consommer 100% français. Première étape : faire le tri des biens accumulés dans le 2 pièces du XXe arrondissement qu'il partage avec Anaïs, sa copine, et se débarrasser de tout ce qui n'est pas estampillé bleu-blanc-rouge. Pour parfaire l'expérience, Benjamin fait appel en mars 2013 à Julien, un expert du label Origine France Garantie qui passe son appartement et son contenu au crible. Le résultat est sans appel : seul 4,5% de ce que contient l'appartement de Benjamin et Anaïs est identifié comme français.
Commence alors le grand ménage : Benjamin doit se séparer - du moins pendant un an - de son lave-linge, de son lit, de son canapé, de sa vaisselle... mais aussi de son réfrigérateur, puisqu'aucune marque n'en fabrique plus en France depuis près de vingt ans. Le jeune homme doit aussi se résoudre à revoir complètement sa garde-robe : adieu jean Levi's et tee-shirts H&M, bonjour aux sous-vêtements Le Slip Français, aux pulls Saint James et Petit Bateau. Pas question non plus de circuler en Vélib - fabriqué en Hongrie - ou même d'utiliser un coupe-ongles, l'objet n'étant plus confectionné en France. Enfin, parce que le made in France passe aussi par la culture, Benjamin a dû renoncer à voir Gravity en 3D au ciné, est passé à côté de la saison 3 de Game of Thrones et s'est bouché les oreilles chaque fois qu'il entendait « Get Lucky » des Daft Punk. Eh oui, selon la Sacem, il faut chanter dans la langue de Molière pour faire de la « chanson française ».
Pourtant, hormis la nécessité de stocker le beurre et les yaourts sur le bord de la fenêtre, Benjamin Carle dit plutôt bien vivre l'expérience. « Je me suis assez vite désaccoutumé de beaucoup d'objets inutiles. Mais aujourd'hui encore, je tuerais pour un café », confie-t-il à Grazia. Surtout, vivre 100% français prend du temps. Beaucoup de temps. Au supermarché, Benjamin doit désormais lire attentivement toutes les étiquettes pour être certain de ne pas manger par mégarde des « champignons de Paris » venus de Pologne ou des haricots verts du Kenya. « Pour manger 100 % français, le premier deuil à faire est celui des plats préparés : impossible de tracer la provenance de tous les ingrédients. Ça me prend une heure trente, de faire mes courses, c'est presque un boulot à plein temps de traquer le made in France dans les rayons », précise-t-il à Télérama.
L'autre (très) gros inconvénient du tout made in France ? Le prix. Pour se constituer une nouvelle garde-robe, Benjamin Carle a dû débourser 2 000 euros. Plus un canapé français à 900 euros, des enceintes tricolores à 1 200... « En tout, j'ai dépensé 25 000 euros sur un an dans l'économie française, loyer inclus », précise le jeune homme. D'ailleurs son salaire mensuel de 1 800 euros net versé par la prod' ne suffisait plus : pour continuer l'expérience, Benjamin a dû contracter un crédit à la consommation de 3 000 euros.
C'est cet aspect financier qui, finalement, s'est avéré le plus difficile à surmonter. D'autant que la copine de Benjamin, Anaïs, s'est retrouvée bien malgré obligée d'adhérer à l'expérience. Contactée par Grazia, elle commente : « L'expérience, je l'ai plus subie que vécue. Ça a chamboulé ma vie. C'était vraiment chiant. Mais je ne me suis pas privée pour aller au ciné ou assister à des concerts sans lui. » La goutte d'eau qui a bien failli faire déborder le vase ? Un parapluie rayé bleu et blanc acquis par Benjamin pour la modique somme de 140 euros.
Pourtant, les efforts ont fini par payer, puisque Benjamin Carle est le premier homme certifié légalement et officiellement made in France. C'est le label Origine France Garantie qui, auprès audit, a déclaré qu'il était à 96,9% français.
Mais faut-il voir dans l'expérience un brin chauvine de Benjamin Carle des relents pétainistes, comme certains l'ont laissé entendre ? Le jeune homme, qui se dit « plus de gauche que de droite », s'en défend. « Je ne cherche pas à donner un avis mais plutôt à découvrir quels sont les objets qui sont encore fabriqués en France. Ce dont je n'avais jusque-là aucune idée. C'est aussi une manière d'évoquer en creux la mondialisation et ses paradoxes. » « Ce que j'aime, c'est l'idée qu'en consommant français, j'aide l'emploi de mes voisins », ajoute-t-il.
Aujourd'hui, l'immersion de Benjamin Carle dans le tout français est terminée. Et s'il avoue qu'il a volontiers retroqué la variété pour David Bowie et Arcade Fire, son expérience lui a permis de consommer mieux. Et moins aussi. « J'ai eu l'impression de faire une immersion dans une culture et un pays que je ne connaissais pas, la France. Mais le véritable exploit de cette expérience ? Anaïs ne m'a pas quitté. »