La Fashion Week printemps-été 2022, tenue du 4 février au 8 mars dernier entre New York, Londres, Milan et Paris, regorgeait de couleurs. Le fuchsia flamboyant chez Valentino, le orange façon coucher de soleil à Hawai chez Jacquemus, le vert acidulé à plumes assorties chez Gucci. Même Chanel, d'habitude plutôt adepte des teintes sobres qui dépassent rarement le bleu marine niveau intensité, a opté pour un rose vibrant.
Une parenthèse pétillante qu'on ne peut s'empêcher de situer au coeur d'une actualité dramatique, dont certains podiums se sont fait le relais percutant - la présentation de la collection de Balenciaga, conçue comme une tempête aux couleurs de l'Ukraine par le Géorgien et directeur artistique de la Maison Demna Gvasalia, pour ne citer qu'elle.
Dans son Journal humain de la mode, la journaliste Sophie Fontanel, dépêchée à Milan la veille de l'invasion du pays par les forces de Vladimir Poutine, écrit la confusion qui règne en elle, ainsi que la confrontation entre un événement jugé "futile" et derrière, la guerre aux portes de l'Europe : "sur Instagram il y a deux mondes : un qui fait comme si l'Ukraine n'avait pas été envahi, et un autre qui poste des drapeaux ukrainiens ou divers messages. La mode peut-elle ignorer les faits de cette journée ?"
En ligne, l'autrice commente encore : "peu de fois mon travail a été plus difficile à faire. Pensées pour les personnes qui n'ont plus le loisir de quelque futilité que ce soit."
On s'interroge : et si, justement, c'était dans le but d'insuffler de l'espoir aux foules, un peu comme une réponse plus ou moins consciente à un monde saccagé, que ces nuances avaient été injectées par les créateur·rices à leurs défilés ? Du rouge, du jaune, du bleu, des moodboards directement inspirés des 60s ou des 70s et de leurs palettes éclatantes caractéristiques, pour tenter de guérir les âmes blessées. Et pourquoi pas, envoyer un message de paix.
Plus généralement, on finit par se demander : la profusion de couleurs, ici dans nos garde-robes, peut-elle mettre du baume au coeur ? Y a-t-il un lien direct entre notre perception d'une teinte et notre humeur ? A écouter les expert·es en la matière, en tout cas, ça ne fait aucun doute.
"Le fait de regarder des couleurs chaudes et vives, comme le rouge ou le rose, libère de la dopamine - connue sous le nom d''hormone du bien-être' - qui peut améliorer notre humeur, accroître notre capacité d'attention et même stimuler notre libido", explique auprès du Daily Mail Jules Standish, consultante en style. "Les bleus froids, en revanche, sont liés à la libération d'ocytocine, ce qui vous donne une sensation de calme".
Des conséquences favorables qui peuvent toutefois varier selon la personne et son vécu. La styliste new-yorkaise Susanna Merrick nuance ainsi pour le magazine Shondaland : "La couleur est un outil puissant qui nous aide à réfléchir à l'intérieur de nous-mêmes, que nous ayons des associations avec certaines teintes depuis l'enfance ou qu'elles possèdent réellement des propriétés émotionnelles que nous ne connaissons pas entièrement". Comprendre qu'on ne répondra pas de la même façon au jaune poussin si cela nous évoque un moment agréable ou une passe difficile. Mais bien souvent, l'impact est positif.
Inévitablement, ce phénomène s'applique à ce qu'on enfile. Aux robes rouges, aux pulls lilas, aux trenchs émeraude, aux bobs bleu Klein. Une analyse qui a d'ailleurs été confirmée par des recherches récentes. "Dans les moments d'incertitude ou de bouleversements, le port de vêtements colorés peut agir comme un antidote à l'inconfort psychologique", affirme ainsi Jane Boddy, spécialiste en couleurs, auprès du média . "Les couleurs boostent le moral", poursuit-elle.
On apporte de la gaieté à notre quotidien en même temps qu'à notre look, c'est scientifique.
Et puis, s'habiller dans des tons vifs, chatoyants, étincelants nous rappelle la dolce vita des vacances. Les balades à vélo, les apéros au soleil, les promenades au marché à goûter à des abricots naturellement sucrés qui ne valent pas un mois de loyer (on exagère mais vous saisissez l'idée). Des souvenirs d'un temps plus doux, plus chaleureux - au propre comme au figuré - dans lesquels on aime se réfugier quand autour, tout semble vaciller.
Un sentiment réjouissant qu'on réussit à transposer à nos besognes moins excitantes, rien qu'en s'enveloppant dans une robe portefeuille fleurie. Mettre ces fringues jadis uniquement dédiées aux beaux jours "à la maison, dans notre vie de tous les jours, en achetant du PQ, en buvant du café au bureau et en se cognant les orteils sur le coin de la table de la cuisine tous les matins en sortant précipitamment, est une façon de prolonger l'esprit de vacances", atteste dans les colonnes du magazine australien Body+Soul la journaliste Hannah-Rose Yee. "Il s'agit d'apporter un peu de cette exubérance dans notre vie quotidienne." Et on en a bien besoin.
Et puis enfin, le réflexe peut aussi incarner une façon de s'affranchir d'une certaine injonction à camoufler sa silhouette derrière des teintes sombres lorsqu'elle ne correspond pas aux standards de beauté réducteurs. La preuve avec le témoignage de Billie Bhatia, rédactrice mode chez Stylist. Un matin, elle a décidé de se défaire de ses tenues noires pour aller au boulot comme en plein été : avec une longue robe jaune ou un haut rouge qui découvrait les épaules.
Elle raconte son expérience : "La robe, l'anxiété, la peur de tout dévoiler en valaient la peine. Non pas à cause des compliments (bien sûr, ils ont aidé) mais parce que j'avais l'impression d'être vraiment habillée pour l'été, d'embrasser cette saison de soleil au lieu de cacher mon corps dans un sac noir en prétendant que c'était ce que je voulais porter."
La couleur en vêtement aurait donc des propriétés multiples. Celles de réconforter, d'apaiser, de passer un message puissant et politique. Mais aussi, des pouvoirs émancipateurs, libérateurs, pour qui s'en empare. On prend.