Nicolas Baverez : quels conseils pour les « 100 jours » de F. Hollande ?
Publié le 15 mai 2012 à 16:35
Par Marine Deffrennes
Avocat, économiste et historien, Nicolas Baverez donne son sentiment sur la situation économique de la France à l'aube des « 100 jours » de François Hollande. Si le célèbre « décliniste » juge sévèrement la campagne « populiste » et « régressive » qui vient de s'achever, il croit encore au potentiel de la France pour renouer avec la croissance.
Nicolas Baverez : quels conseils pour les « 100 jours » de F. Hollande ? Nicolas Baverez : quels conseils pour les « 100 jours » de F. Hollande ?© AFP
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Terrafemina : Si vous deviez formuler trois conseils pour François Hollande à l’aube de ses « 100 jours », quels seraient-ils ?

Nicolas Baverez* : Mon conseil c’est de former ce gouvernement et de donner le premier signal important de la négociation avec Mme Merkel en s’occupant de trois choses : premièrement, améliorer la situation de l’économie française et la situation de notre appareil productif qui est très délabré. Deuxièmement, avoir la bonne balance entre la maîtrise des comptes publics et la croissance. Et enfin essayer de nouer des pactes et des compromis : un pacte national de production et pacte social chez nous, et un nouveau pacte européen intégrant trois piliers : une politique monétaire souple et dynamique, une politique budgétaire responsable, et une politique de soutien à la croissance mais plutôt du côté de l’offre.

Tf. : Vous appelez de vos vœux une remise en ordre des finances de la France par une « dépense publique productive ». Qu’est-ce que cela implique concrètement ?

N. B. : Il y a une phrase de Pierre Mendès France que j’aime beaucoup, qui disait que « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ». La France depuis 1973 accumule les déficits budgétaires, sa dette a beaucoup augmenté et va maintenant peser négativement sur la croissance et sur l’emploi. Il est donc extrêmement important de reprendre le contrôle des comptes publics. Mais dans la dépense publique, il y a un certain nombre d’usages qui sont productifs car ils correspondent à des investissements, à de l’innovation, à de la recherche et du soutien de l’emploi, il faut absolument protéger ces dépenses-là. A l’inverse, il faut accepter que certaines dépenses de fonctionnement qui sont superfétatoires ou qui font des doublons, par exemple entre l’Etat et les collectivités territoriales, soient coupées. Et d’une manière générale, toutes les dépenses publiques d’intervention doivent absolument faire l’objet d’évaluations régulières pour qu’on soit certain de leur efficacité, et lorsqu’elles ne sont pas efficaces, il faut les supprimer.

Tf. : Sur quels atouts de la France F. Hollande doit-il capitaliser pour aller chercher la croissance ?

N. B. : Heureusement la France garde des atouts en effet. D’abord les institutions de la Ve République donnent une bonne capacité à piloter en temps de crise, et aujourd’hui c’est important. C’est un actif un peu immatériel, mais qu’il faut préserver. Ensuite nous avons une démographie qui reste dynamique, la meilleure d’Europe après l’Irlande, et une main d’œuvre qui est productive pour une partie d’entre elle. Nous avons de l’épargne, 16% du revenu disponible, qui peut être investie dans les entreprises et dans l’innovation. Nous avons des infrastructures, nous avons des pôles de compétence au meilleur niveau mondial dans le privé, on peut penser à Airbus, mais aussi dans le public dans certains établissements d’enseignement, certains laboratoires de recherche et certains hôpitaux. Enfin, du côté immatériel mais avec une traduction évidente dans le tourisme : la culture, le patrimoine, le mode de vie, le climat, les paysages, etc. Je crois que c’est en jouant sur tout cela qu’on peut essayer de réinventer un modèle français performant dans le 21e siècle, tout en préservant la solidarité, et en renouant un tissu social dont la dernière élection a montré qu’il était bien effiloché.

Tf. : Qui serait-il judicieux de nommer selon vous aux postes clés du gouvernement ?

N. B. : Si le choix du Premier ministre se porte sur M. Ayrault, c’est sans doute sur sa capacité, d’un côté à obtenir et à diriger une majorité au Parlement pour éviter une cohabitation, cela est souhaitable, mais aussi parce qu’il est germaniste ouvert à la culture allemande, ce serait un signal donné en direction des partenaires européens. Au Quai d’Orsay, il faut quelqu’un qui ait à la fois une bonne connaissance de l’Europe et qui soit connu et apprécié sur le « vieux continent ». Pour le ministère du budget, si M. Cahuzac est nommé, on sait qu’il a une bonne expérience et que c’est un homme réaliste. Côté économie, il faut quelqu’un qui connaisse le secteur de la production et de l’entreprise privée, parce qu’incontestablement, il faudra jouer sur ce couple très compliqué que forment la croissance et la dette. Il faut d’un côté reprendre le contrôle de la dépense, mais de l’autre il faut trouver des éléments pour relancer la croissance. Pour ce poste, il y a des talents disponibles tels M. Sapin ou M. Moscovici, je ne crois pas que ce soit encore son heure mais un jour peut-être Pascal Lamy. Mais au-delà de ce « mercato », l’important sera d’avoir une équipe unie et soudée, avec une forme de cohérence.


Nicolas Barevez

*Nicolas Baverez était l’invité du dîner de l’Association Terrafemina à l’Unesco le 14 mai. Dernier ouvrage paru : « Après le déluge. La grande crise de la mondialisation », Perrin, 2009.

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