Embauchée comme réceptionniste pour le compte de l'entreprise PWC, la jeune Nicola Thorp se présente en chaussures plates, lors son premier jour de travail à Hackney dans l'est de Londres. Une tenue qui ne semble pas du goût de son employeur puisque celui-ci lui suggère très fortement d'aller s'acheter une paire de talons de "5 à 10 cm", comme spécifié dans le règlement, puis de revenir travailler.
Sa profession exigeant d'être debout durant 9 heures pour accompagner les différents clients, l'intéressée explique alors à son patron ne pas être en mesure d'effectuer ses tâches en talons toute une journée et aimerait comprendre pourquoi ses collègues masculins, eux, ne doivent pas répondre à cette obligation. Des arguments non recevables pour ses supérieurs et qui lui valent aujourd'hui son licenciement.
En réaction, la jeune femme décide de lancer une pétition visant à rendre illégale cette exigence des entreprises à ce que leurs employées portent des talons hauts, dénonçant par la même occasion une loi "dépassée et sexiste" et un comportement descriminatoire de la part de PWC.
"Une femme devrait avoir le choix de décider si elle souhaite porter des talons ou des chaussures plates, en fonction de ce qui est plus confortable ou pratique pour sa profession", a-t-elle expliqué à la BBC pour justifier sa démarche. Lancée ce lundi 9 mai, la pétition fait déjà l'objet de plus de 80 000 signatures. A 100 000, elle devrait être prise en considération pour un débat au Parlement.
Car en soi, le problème ne réside pas tant de le fait qu'une femme porte des talons, mais que cela devienne une obligation - surtout lorsque l'on sait que le port répété de ce type de chaussures entraîne l'usure des articulations des pieds ou donne naissances à des maladies telles que certaines formes d'arthrite.
De son côté, le porte-parole de l'entreprise PWC précisa que ce règlement ne viendrait pas d'eux mais du prestataire auquel l'entreprise fait appel pour ses hôtes d'accueil, Portico. Et, à Portico de répondre que Nicola Thorp "avait donné son accord pour suivre les indications concernant la tenue vestimentaire, qui sont monnaie courante dans le secteur".
Une affaire qui fait écho à un récent post sur les réseaux sociaux. Sur son compte personnel, Nicola Gavins, une Canadienne, partage l'histoire d'une de ses amies serveuse ayant préféré garder l'anonymat. Dans son post Facebook, la femme critique violemment Joey Restaurant, l'employeur de celle-ci, qui oblige son personnel féminin à porter des chaussures à talons.
Un cliché illustre son récit : celles des pieds ensanglantés de son amie après seulement quelques heures de travail. Une photo vite devenue virale, puisque depuis sa publication le 5 mai, elle a été partagée plus de 11 000 fois. Nicola explique également que les femmes se voient contraintes de payer 30 dollars pour acheter une robe uniforme noire tandis que les employés de sexe masculin peuvent, eux, choisir leurs propres vêtements noirs.
Si, selon la loi britannique, une entreprise se trouve dans son droit en licenciant un employé qui ne respecte pas ses codes vestimentaires, la situation est tout autre en France.
Contacté par Terrafemina, Maître Éric Rocheblave, avocat spécialiste du droit du travail, nous explique que le choix de la tenue vestimentaire du salarié n'est pas une liberté fondamentale. Cela signifie donc que, par principe, le salarié a le droit de s'habiller comme bon lui semble sur son lieu de travail. Mais, comme il ne s'agit pas d'une liberté fondamentale, l'employeur peut y apporter certaines restrictions - celles-ci étant encadrées par des interdictions, comme la discrimination, par exemple. Comme prévu par l'article 1121-1 du Code du Travail : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché".
En ce sens, devoir rester 9 heures par jour debout et en talons n'est-il pas illégal, surtout en regard des problèmes sur la santé que cela peut engendrer ? L'employeur se doit de garantir la sécurité et la santé de ses salariés. Dans cette optique, imposer une tenue qui peut avoir une quelconque incidence sur la santé est interdite. "Bien sûr, devant un juge, cela se traite au cas par cas. Mais le salarié est tout à fait légitime de refuser, ici, le port de talons", explique Me Éric Rocheblave. Avant de conclure que, "dans le cas où vous êtes sujette à une quelconque maladie vous empêchant le port de ce type de chaussures et ayant fourni une preuve de votre état de santé, un employeur ne peut vous licencier. Sinon, cela relève de la discrimination".
En somme, tout cela nous interroge sur point particulier : la sexualisation incessante du corps de la femme. En quel honneur une paire de talons rendrait-elle plus présentable une femme ?