Dans le film 20 ans d'écart, sorti en 2013, Virginie Effira incarnait une rédactrice en chef du magazine "Rebelle" et posait la question suivante : "Sommes-nous toutes des mots-clés sur Youporn ?". La réponse à la question est sans ambiguité : OUI. Mais quels sont les mots clés les plus recherchés ? Gros seins, lesbienne, MILF, mère, ado ? Ils varient radicalement selon les pays, et en disent long sur les comportements et goûts transgressifs des utilisateurs.
La consommation de vidéos pornographiques en ligne est colossale, qu'il s'agisse de sites ou de pages personnelles (700 à 800 millions pour ces dernières selon The Economist). Le site Pornhub, l'un des plus gros mondialement, a annoncé l'année dernière avoir généré 80 milliards de streams et plus de 18 milliards de visites. MindGeek, entreprise basée au Luxembourg et propriétaire de Pornhub (et de biens d'autres sites adultes arrosant la planète), annonce avoir 100 millions de visiteurs par jour, consommant l'équivalent de 150 films par seconde. Pour eux, comme pour les autres gros opérateurs de sites porno, l'analyse des comportements, de la data, est essentiel pour mieux servir ce colossal volume de clients pour les encourager à consommer toujours plus.
L'analyse des mots-clés est donc essentielle à leur business. Elle est aussi particulièrement étonnante et révélatrice des comportements et des obsessions selon les pays. Dans une étude récemment publiée par The Economist, on constate que si par exemple les Anglais et les Américains sont particulièrement émoustillés par les lesbiennes qui arrivent en tête de leurs recherches, en Inde, c'est l'épouse qui occupe la première place. Les Egyptiens, les Espagnols et les Polonais cherchent des mères. A l'inverse, les Mexicains, les Argentins, les Canadiens et les Allemands veulent des jeunes filles. Italiens, Hollandais et Suédois préfèrent les MILF (acronyme de "mother I'd like to fuck", mère que je voudrais baiser). Les Russes fantasment sur les rapports anaux. Jusque là, tout est sexuel.
La France fait exception en cherchant majoritairement une ethnie : ce sont les "beurettes" qui sont les plus recherchées. Pour les sociologues Eric Fassin et Mathieu Trachman, interviewés par le site Rue89, elles représentent plus un fantasme social que sexuel, elles seraient celles qui sont privées de sexe, celles qui seraient encore soumises à leur culture patriarcale. Bien que l'étude de The Economist n'indique pas si la recherche concerne spécifiquement ou non les femmes voilées, ils soulignent que la "beurette voilée" est le fantasme d'une femme arabe à la fois émancipée et soumise, qui serait, disent-ils, "mi-pute" (pour ceux qui fantasment) "mi-soumise" (à son époux, à son milieu).
Si réellement le mot "beurette" inclut "voilée" dans le fantasme, alors il serait intéressant de savoir si ce n'est pas le voile qui est central. Dans les années 60 et 70, les Français rêvaient des cornettes des bonnes soeurs, et il n'étaient pas les seuls puisque cela avait donné naissance à un courant: la "nunsploitation" (exploitation des nonnes). On continue de les croiser au cinéma (Bad Lieutenant, la série Californication ...) comme dans les films porno. Dans ce cas, l'aspect virginal et la soumission seraient donc le moteur de ces fantasmes, par opposition à la la femme émancipée, désirante sexuellement, un peu effrayante pour les hommes qui ont encore du mal à redéfinir les codes de la virilité à la française. Nonnes et "beurettes voilées" existent pour rassurer plus encore que pour être dévoilées.
Il est préférable de prendre conscience de la fragilité des hommes (et de les rassurer) face aux pertes de repères qu'a pu engendrer l'émancipation des femmes, que de les savoir fantasmant sur des ethnies comme au temps des colonies...