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"Aie plus confiance en toi !" : pourquoi ce conseil fait aux femmes ne passe plus
Publié le 15 avril 2022 à 18:36
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
"Aie un peu plus confiance en toi !". On connaît la chanson, assénée de posts Insta inspirants en méthodes de coaching. Mais aujourd'hui, cette injonction "girl power" systématiquement assénée aux femmes ne passe plus du tout.
"Aie plus confiance en toi !" : pourquoi cette reco faite aux femmes ne passe plus "Aie plus confiance en toi !" : pourquoi cette reco faite aux femmes ne passe plus© Adobe Stock
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Posts inspirants sur Instagram ou (pire encore) Linkedin, interviews stimulantes de "role models", slogans publicitaires... Partout, la confiance règne. Elle est brandie aux femmes comme un argument ultime : celles-ci se doivent d'être sûres d'elles pour s'émanciper des carcans – sociaux, physiques, professionnels. Surpasser son syndrome de l'imposteur, s'imposer, comprendre son potentiel, devenir la girlboss de demain.

Un message libérateur ? Ou peut-être simplement une injonction de plus pour des générations de femmes et de féministes. Car si la confiance en soi (au taf, dans la vie, en amour) fait l'objet de bien des conseils de pro, articles ou méthodes de coaching diverses (visant à la nourrir et à la consolider), elle s'impose de plus en plus comme un terme vide et creux.

Explications.

Un "empowerment" vide de sens

Tutos sur YouTube, mantras pop de célébrités, formations pros en vrac... La confiance est devenue un mot-clé majeur pour inciter les femmes à s'épanouir au quotidien, se retrouver, user au mieux de leurs aptitudes et de leur singularité. Prendre la parole dans un monde patriarcal qui désire les silencier : un acte qui compte. Mais hélas, pour un terme aussi galvaudé que celui "d'empowerment", intitulé aussi bien appliqué au monde de l'entreprise qu'aux mouvements féministes – militances pourtant volontiers anticapitalistes.

"Aie plus confiance en toi !" : pourquoi cette reco faite aux femmes ne passe plus © Adobe Stock

Pour bien des voix, c'est justement là qu'est le souci : vidé de son sens, l'appel fait aux femmes à la confiance en soi serait bien trop creux. Et ce, parce qu'il dépolitise tous les enjeux auxquels sont confrontées les femmes au quotidien. Si l'on suit la logique que la "confiance en soi" suppose, celles-ci ne pourraient s'en prendre qu'à elles-mêmes, face à des problématiques surmontables grâce à ce super-pouvoir que serait l'assurance individuelle, infaillible. Or, spoiler alert, tout n'est pas si facile.

Inégalités salariales dans le monde du travail, inégale répartition des tâches domestiques, stéréotypes de genre bien ancrés dès les premières années d'école, violences sexistes, les réalités sociales et chiffrées tendent à suggérer pourquoi condition féminine et confiance en soi ne constituent pas forcément un couple si évident.

De fait, la philosophie de la confiance à soi tend à individualiser un problème collectif, et plus encore, systémique. C'est ce que détaille le magazine The Conversation en dénonçant une certaine "culture de la confiance" : "cette culture nous encourage à entreprendre un travail approfondi sur nous-mêmes et nous éloigne ce faisant d'un vrai enjeu : dénoncer les inégalités structurelles auxquelles les femmes sont réellement confrontées".

Pour le dire autrement, la culture de la confiance réduit à un stade simplement psychologique ce qui constitue une large question politique et sociale. C'est ce que déplore le magazine The Atlantic : "Les inégalités de genre, de race et de classe persistent dans la société, mais les femmes sont appelées à... ne croire qu'en elles-mêmes ! Quels que soient les problèmes rencontrés par les femmes ou les filles, le diagnostic implicite proposé est généralement le même : elles ont juste besoin de mieux croire en elles...".

"Aie plus confiance en toi !" : pourquoi cette reco faite aux femmes ne passe plus © Adobe Stock
Des alternatives fortes à repenser

Pourtant, la confiance en soi pourrait être une forme de mobilisation. Mais loin de l'émancipation, elle semble s'être édulcorée, au même titre que certaines expressions. Par exemple ? L'intitulé de "girl power". Forgé dans les années 90 par le mouvement punk et féministe des Riot Grrrl, alors présenté comme un outil de ralliement sororal et de contestation du système patriarcal, il fut finalement repris avec beaucoup plus de fracas médiatique par les Spice Girls. "Girl power" devenait alors une expression insouciante, commerciale.

Arbre qui cache la forêt, autrement dit les inégalités de genre, la "confiance en soi" se rapproche également de la notion de "role model", laquelle, en érigeant icônes féminines (popstars notamment) et leadeuses en femmes exemplaires, dépolitise là encore bien des enjeux, notamment lorsqu'elle est valorisée dans les entreprises.

"Parler de 'role model' ne suffit pas. Les leadeuses ont une pression terrible sur les épaules puisqu'on va toujours les déconsidérer : elles seront soit trop 'viriles', c'est-à-dire 'autoritaires', ou bien 'super féminines' : trop douces, gentilles autant de stéréotypes accolés aux femmes", déplore à ce titre Isabelle Germain, fondatrice du site Les nouvelles news.

Peut-on en dire autant du terme de "confiance en soi", qui incite les filles et femmes à prendre leur vie en mains et avoir conscience de leur potentiel ? Le Guardian le suggère : "Bien qu'encourager les femmes à avoir plus d'estime de soi ne soit pas une mauvaise idée, rien ne prouve qu'une plus grande assurance changera la façon dont les femmes sont perçues", remarque le journal britannique. Et notamment sur le lieu de travail.

"Les femmes confiantes au travail sont systématiquement étiquetées 'autoritaires' et 'garces', et on observe tout autant un manque flagrant d'égalité pour les femmes dans la culture et dans la politique", fustige le Guardian, pour qui il s'agirait d'interroger les "barrières institutionnelles" avant de "corriger" à tout prix les doutes qu'éprouvent les femmes.

"Aie plus confiance en toi !" : pourquoi cette reco faite aux femmes ne passe plus © Adobe Stock

Face à cela, bien des voix en appellent à une indignation collective, loin de toute rhétorique marketing. Pour The Conversation, s'attaquer de manière réellement critique à la grossophobie et aux diktats imposés par l'industrie publicitaire importe par exemple beaucoup plus que de féliciter les marques et industries lorsqu'elles se contentent "d'embaucher des ambassadrices prônant le mouvement body positive et l'amour de soi".

Peut-être peut-on voir là une différence entre les mobilisations sociales et les célébrités postant un simple hashtag sur Twitter pour soutenir une cause. "Si nous voulons vraiment que les femmes soient plus confiantes - et qu'elles puissent exprimer cette confiance d'une manière qui implique un changement significatif - alors nous pouvons commencer par créer une culture qui valorise les femmes sûres d'elles", poursuit le Guardian.

En somme, penser en terme de politiques culturelles, institutionnelles et sociales, plutôt que de se contenter de mantras. Mantras pourtant parfois idéaux pour retrouver une certaine force. C'est ce paradoxe qu'épingle non sans ironie The Conversation : "On observe dans notre société un encouragement sans fin fait aux femmes et aux filles, à savoir une incitation à prendre soin d'elles-mêmes... parce que personne d'autre ne le fera". CQFD.

"Chacun de ces mantras détourne les enjeux de notre société inégalitaire en problèmes individuels : selon 'la culture de la confiance', nous devons changer les femmes, pas le monde", l'énonce autrement The Atlantic. La revue s'attarde par ailleurs sur le culte de la confiance chez les hommes : diverses formations leur promettent d'intensifier leur force, leur compétitivité, en fuyant comme la peste une éventuelle vulnérabilité.

Bref, autant de stéréotypes de genre tout aussi ronflants et pas très féministes. Une énième bonne raison d'interroger cette culture de la conf' jamais très loin de la philosophie hors-sol.

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