Il s'appelait Harris Glenn Milstead, mais pour bien des fans, amis et personnalités de la communauté LGBTQ, son nom restera toujours Divine. Divine est l'une des drag queen les plus connues de la culture underground, mais aussi une figure influente de la pop culture. Egérie du cinéaste trash John Waters, qui la fit aussi bien tourner dans ses premiers longs que dans ses productions les plus maintream, Divine était grosse, joyeuse, subversive.
Et c'est son parcours plutôt fou que retrace I am Divine, documentaire à rattraper au plus vite sur la plateforme d'Arte - vous avez jusqu'à la fin octobre. Un film réjouissant à l'image de cette idole des marginalités : plein d'amour et d'irrévérence. S'intéresser à ce personnage insaisissable, c'est plonger au coeur de la drag culture, mais aussi croiser des people aussi divers qu'Elton John et Andy Warhol.
Alors Divine, qui étais-tu donc ? Eléments de réponse.
Harris Glenn Milstead est un garçon de Baltimore qui, comme tous les enfants du Maryland, s'ennuie dans sa banlieue pavillonnaire. Grandissant dans l'Amérique des années soixante, Harris devient un charmant coiffeur et se rapproche rapidement de jeunes hommes excentriques, dont un certain John Waters. Ce dernier est cinéaste et a une spécialité : les films agressifs et provocateurs, déboulonnant l'american way of life à grands coups de langage ordurier, de corps malmenés, de saillies trash et sexuelles scandalisant la bourgeoisie.
Dès ses premiers courts-métrages à la fin des sixties, John Waters encourage Harris à pratiquer ce qu'il a déjà pu expérimenter lors de soirées collégiales : le travestissement. Epaulé par le maquilleur Van Smith, le comédien en herbe décide de se lâcher. Face à la caméra, il devient une drag queen exubérante et malpolie, défiant aussi bien les normes du genre que les bienséances. Divine est née. Elle sera à l'affiche des métrages les plus connus de Waters, des scandaleux Pink Flamingos, Female Trouble et Polyester au grand succès public Hairspray.
"John voulait un homme qui ne corresponde pas aux normes masculines", explique I Am Divine. Et pour cause : Divine est une drag queen obèse au maquillage outrancier, qui parle fort, ne cache pas ses formes, et revendique une féminité exacerbée. Pour devenir Divine, Harris Glenn Milstead s'est notamment inspirée de Marilyn Monroe et de Jayne Mansfield. Pour John Waters, Divine est "la plus belle femme au monde".
Un pastiche ? Non. Un emblème de la culture drag, qui s'émancipe des normes, et notamment des diktats physiques. Raillé sur son poids, Harris était victime de harcèlement durant ses études. Divine fait office de libération, éclatante et bruyante, pour ainsi dire punk.
Ne tournons pas autour du pot, c'est aussi par ses fulgurances trash que Divine est entrée dans la légende. A la fin du film Pink Flamingos par exemple, la drag queen mange une crotte de chien. Pour de vrai. Une séquence qui suscitât un vrai délire public et médiatique. Le cinéaste John Waters, jamais avare en idées répugnantes, aimait interpréter le taux de "spectateurs qui gerbent" comme une forme de standing ovation.
Au coeur de cette impertinence, Divine exprime la force satirique de ce cinéma-là, underground, aux antipodes du système hollywoodien. C'est un art de "freaks" au sein duquel une drag queen en vient à interpréter une mère au foyer, une épouse aimante, une fille de bonne famille, voire même... Jackie Kennedy en personne ! Divine ne craint pas de massacrer les idoles. Mais toujours avec une conviction sincère, un investissement professionnel radical (souvent très physique) et un amour profond pour les icônes féminines.
On le devine, un discours social s'esquisse sous l'obscénité. Divine choque, brandit sa liberté tel un slogan politique, et son make-up exubérant flamboie au sein de l'espace privé et public, comme pour mieux remplacer celles et ceux qui en sont exclus. "Harris défendait un certain nombre de choses sans le vouloir, il n'avait rien d'un politicard ! Il incarnait tous les marginaux", détaille le captivant documentaire de Jeffrey Schwarz.
Divine jouait, aussi bien sur les tournages que sur les planches (dans des pièces comme Women behind bars), mais chantait également, et dansait. C'est notamment au sein de la scène disco que Divine a excellé, avec des sons typiquement eighties comme Born To Be Cheap et You Think You're a Man. Quand Divine fait du théâtre, David Bowie en personne y assiste. Quand Divine chante, Elton John lui rappelle toute son admiration. L'idole drag sera même invitée à l'inauguration du Studio 54, la mythique discothèque de New York.
Trop vite étiqueté par Hollywood, Harris Glenn Milstead désirera prouver qu'il n'est pas "que" Divine (ce qui est déjà beaucoup), en jouant par exemple devant la caméra du cinéaste Alan Rudolph. Parler de Harris ou de Divine, c'est évoquer une personnalité artistique multiple et touche à tout. Et qui aimait à dire, comme le rappelle I Am Divine : "Je peux jouer un homme et une femme, pas la peine d'engager deux acteurs !".
Qu'ajouter sur Divine ? Si ce n'est qu'en plus de bousculer la scène de la nuit new yorkaise des années 70, on a pu voir l'artiste aux côtés d'Andy Warhol, le pape du pop art, mais aussi, immortalisée par le peintre américain David Hockney, notamment connu pour ses représentations mélancoliques de piscines. Précisément, Hockey ne portraitiste pas Divine, mais Harris Glenn Milstead. Son tableau le présente sans maquillage et perruque.
John Waters n'est pas le seul créateur à avoir compris la singularité de Harris, ou Divine, qui fera d'ailleurs la Une (qui claque) d'Interview, le magazine très branché de Warhol. Shooting de grands photographes et toiles des peintres font briller cette étincelle. A sa mort, des suites d'une crise cardiaque survenue dans son sommeil, les artistes les plus connus, tout comme les figures de la contre-culture américaine et toutes les reines de la nuit anonymes, pleureront à l'unisson une égérie pas comme les autres.