« Les médias me sont tombés dessus complètement par hasard !, confie d’emblée Rokhaya Diallo. Il y a trois ans, je n’aurais jamais imaginé évoluer un jour dans ce milieu ». Et pourtant, à 34 ans, cette frêle jeune femme est à la fois chroniqueuse et animatrice, pour la télévision et la radio.
Avec un intérêt marqué pour la sociologie et les questions liées aux droits de l’Homme, c’est d’abord vers des études de droit qu’elle s’oriente, après l’obtention d’un baccalauréat économique et social. « C’était l’une des filières les plus larges. Je n’avais pas vraiment de projet professionnel en tête, se souvient-elle. Et, à dire vrai, plus j’étudiais et moins je savais ce que j’allais faire de ce diplôme : les perspectives professionnelles offertes par le droit ne m’intéressaient pas. »
Sa maîtrise de droit international et européen en poche, la jeune Rokhaya poursuit ensuite des études de commerce, « sans conviction » avant de finalement se lancer dans un master en marketing et distribution audiovisuelle. Passionnée par la culture japonaise et par les mangas, elle espère, grâce à son parcours à la fois juridique et marketing, exercer dans l’animation audiovisuelle. Ce sera chose faite. Pendant 8 ans, elle travaillera dans l’animation, chez Disney notamment.
Mais les mangas ne sont pas son seul centre d’intérêt. Née de parents sénégalais et gambien, Rokhaya Diallo développe très tôt une fibre militante. « Je me suis toujours intéressée aux questions d’égalité et, aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été féministe. » Dans les années 2000, elle adhère ainsi au mouvement féministe Mix-Cité et s’engage également auprès d’Attac, une association altermondialiste. « Je n’avais que 20 ans quand j’ai découvert les ouvrages d’Aminata Traoré et de Naomi Klein, se souvient-elle. Ce sont ces femmes qui m’ont éveillée à l’altermondialisme. »
Très impliquée dans la vie locale de sa ville, elle intègre en 2001 le Conseil local de la jeunesse de la Courneuve (Seine-Saint-Denis) avant d’en prendre la présidence. Elle y organisera divers débats et manifestations sur les thématiques qui lui tiennent à cœur. « Pourtant, adolescente, je n’étais pas militante. Je n’ai jamais été déléguée de classe et quand le Front National a passé le premier tour de la présidentielle de 2002, je n’ai pas eu de révélation », avoue-t-elle. C’est davantage l’accession de l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, au ministère de l’Intérieur qui exacerbera ce militantisme. « Dès le départ, il a multiplié les attaques frontales contre les banlieues, les invectives étaient permanentes. Il y a notamment eu l’interdiction aux bandes de se regrouper et, surtout, l’épisode du Kärcher qui ciblait directement ma ville », regrette-elle.
A cette même période, la question de la diversité dans les médias occupe le devant de la scène. « Le Conseil local a donc décidé d’organiser un débat sur la discrimination positive en politique et à la télévision, auquel de nombreux intervenants issus de la sphère politique, associative ou audiovisuelle ont été conviés. » A 26 ans, alors qu’elle envisage de quitter le Conseil, la militante en herbe accompagne un dernier débat sur le thème « Jeunes de banlieue et histoire coloniale, sommes-nous les nouveaux indigènes ? » Elle ne le sait pas encore, mais cette manifestation influera sur le reste de sa vie. « C’est ce débat qui m’a donné envie de créer une association antiraciste d’un nouveau genre. Je voulais dénoncer les préjugés, le racisme ordinaire. A titre personnel, je trouvais pénible d’être constamment renvoyée, malgré moi, à mes origines étrangères. Quant au traitement de l’actualité par les médias, il me semblait généralement au mieux maladroit, au pire, raciste. Il était donc urgent de faire émerger un contre discours. »
C’est ainsi qu’en 2007, en pleine campagne présidentielle, naissent Les Indivisibles. « Nous nous sommes très vite placés sur le terrain humoristique. Cela nous semblait un bon moyen de lever les appréhensions sur le racisme. Ce parti pris nous permettait, en outre, d’aborder le sujet de manière décalée. » Deux ans plus tard, la première édition des Y’a Bon Awards, la cérémonie récompensant les auteurs de propos racistes, change le statut des Indivisibles et de leur présidente.
« Déjà, dès 2007, une certaine presse de gauche, à l’image du journal Libération, avait souhaité faire un focus sur des organisations développant un discours contestataire à celui du nouveau gouvernement sur l’identité nationale et nous avait consacré plusieurs articles. J’avais par ailleurs publié une tribune dans Libération. A la suite de celle-ci, et peu avant les premiers Y’a Bon Awards, j’ai été invitée à participer à l’émission Paris-Berlin, sur Arte, en présence d’Eric Zemmour. »
L’émission sera le théâtre du premier conflit télévisé entre la militante antiraciste et le polémiste. « J'appartiens à la race blanche, vous appArtenez à la race noire », lui lancera-t-il ce 13 novembre 2008. Une altercation qui fera bénéficier aux Indivisibles et à Rokhaya Diallo d’une visibilité aussi forte que soudaine. « J’ai été prise de court. Je travaillais encore dans ma boîte de production mais j’étais régulièrement sollicitée pour participer à des débats. Grâce à ces interventions, j’ai été repérée pour faire de la télévision, d’abord par RTL, puis par Canal +. A l’époque, je représentais quelque chose qui n’existait ni en télévision ni en radio. »
Très vite, les choses s’accélèrent. Après avoir participée épisodiquement, en mai 2009, à l’émission, « On refait le monde » sur RTL, Rokhaya Diallo se voit proposer, dès septembre de la même année, la chronique hebdomadaire « RTL Opinion ». Parallèlement, Canal +, lui offre d’animer, à partir de la rentrée 2009, une chronique dans sa matinale. A ces formats s’ajoutent l’émission radiophonique hebdomadaire « Fresh Cultures » sur Le Mouv’ et « Egaux mais pas trop » sur LCP, la chaîne parlementaire.
Mais lorsqu’on lui demande si - mercato des médias oblige - ces formats seront programmés à la rentrée prochaine, la jeune chroniqueuse avoue : « je débute dans ce milieu, je n’ai pas encore le réflexe de m’inquiéter de la poursuite ou non de mes émissions. Mais il serait temps, effectivement, car celles sur lesquelles je travaille sur Canal + et RTL vont être bouleversées. S’agissant de « Egaux mais pas trop », c’est le producteur qui discute actuellement de sa reconduction avec la chaîne. Finalement, ma seule certitude à ce jour concerne « Fresh Cultures », que j’animerai vraisemblablement encore en septembre. »
Télévision, radio. Rokhaya Diallo poursuit donc son chemin entamé il y a peu, dans l’audiovisuel. Mais à mesure que la notoriété de l’auteure de « A nous la France » (Michel Lafon), grandit, les critiques à son encontre se font de plus en plus insistantes. « Elles ne me touchent pas, affirme-t-elle pourtant. On me dit proche du milieu islamiste car je suis contre l’interdiction du port du voile ? Je considère simplement que la liberté individuelle est sacrée. On m’accuse d’avoir fait de l’antiracisme un business ? Je gagnais beaucoup mieux ma vie quand je travaillais dans l’animation, avec un emploi stable et des tickets restaurants. » Et d’ajouter, bonne joueuse : « lorsqu’on a la possibilité de donner son opinion dans les médias, on s’expose forcément aux critiques. Ce sont les risques du métier ».
Un métier qui réserve toutefois de bonnes surprises, comme ce prix de la Lutte contre le Racisme et la Discrimination qui lui a été décerné en janvier dernier par le Cojep International. « C’était la première fois que je recevais un prix, j’étais extrêmement étonnée et touchée, d’autant que cette ONG est active dans 15 pays, dont la France. J’ai reçu cette récompense en tant que journaliste dont le travail participe à la lutte contre les discriminations et le racisme. Par la suite, j’ai été invitée à des colloques en Turquie, à Vienne ou en Angleterre, pour parler de l’antiracisme et de la situation en France. C’est pour moi la plus belle reconnaissance », conclut-elle.
Crédit photo : Brigitte Sombié/Voltajazz
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