C'est une vidéo qui angoisse autant qu'elle donne du punch. Avec le clip de son morceau "A Palé", l'audacieuse chanteuse Rosalía déploie un univers bien à elle. Ce qui détonne, c'est son look, aussi badass qu'improbable. Voyez plutôt. Dents dorés de rappeur (sourires qui tuent à l'appui), rouge à lèvres sanglant, très longs ongles de femme-vampire, et, cerise sur le gâteau, un mono-sourcil absolument sublime. Comme une macédoine de références pop où surnagerait, tel un écho, le lointain profil de l'indémodable Frida Kahlo...
Il n'en a pas fallu plus pour que cette chanson - qui cumule dix sept millions de vues sur YouTube - affole les médias, qui aujourd'hui le prédisent fortement : oui, Rosalía Vila Tobella - de son nom complet - a suffisamment de coffre et de style pour signer le retour de hype du mono-sourcil. Et ce n'est pas le seul talent de cette artiste plutôt hors-normes. On rembobine.
A seulement vingt-six ans, l'artiste espagnole a déjà pour elle un sacré CV. Du succès mondial de son second album El Mal Querer (sorti l'an dernier) à son duo envoûtant en compagnie du so british James Blake ("Barefoot in the Park"), la chanteuse ne cesse de se réinventer. Hier salué pour son premier album de "nouveau flamenco", cette musique traditionnelle qu'elle revisite comme personne (écoutez plutôt "Malamente" si vous en doutiez encore), elle est désormais applaudie pour ses performances qui oscillent plutôt du côté de "la trap à l'espagnole". Bref, on peut dire que l'interprète originaire de Barcelone aime faire varier les plaisirs. Et ça marche : en août dernier encore, la "révélation Rosalía" recevait un MTV Award...
Mais ce n'est pas simplement son art du mix - entre musique andalouse et R&B - qui fait la différence. Ce qui fait la "touche" Rosalia, c'est sa liberté. "Tu peux faire ce que tu veux, mais fais en sorte d'aller jusqu'au bout", lui disaient déjà ses parents quand elle était toute petite, à en croire ce portrait du magazine Elle. On comprend mieux pourquoi la chanteuse bouscule désormais les codes et les diktats de beauté imposés aux femmes. Cette liberté du corps, Rosalia la trouve et l'aiguise très tôt, dès sa découverte du flamenco, à treize ans. Comme le démontrent aujourd'hui ses clips et performances sur scène, la danse est pour elle une discipline stricte : elle a appris le flamenco au Collège de musique de Catalogne, sous la direction d'un virtuose. Un enseignement de quasiment neuf ans. Mais c'est aussi un spectacle, un langage, ou encore un moyen d'émancipation.
Et l'artiste est consciente des répercussions que peut avoir cette liberté sur sa carrière. "Je sais que lorsque vous prenez un risque, la réaction qui en résultera ne sera jamais neutre : elle sera soit très négative, soit très positive", affirme-t-elle en ce sens au magazine féminin. Et son ode au mono-sourcil n'est pas l'exception qui confirme la règle, loin de là. D'aucuns pourraient trouver ce détail esthétique insignifiant. Et pourtant, en l'arborant, Rosalía s'inscrit dans la lignée du mouvement "Unibrow". Une mouvance militante largement répandue sur les réseaux sociaux - tapez-donc #UnibrowMovement pour vous en convaincre - et qui, selfies à l'appui, loue les vertus d'une pilosité féminine totalement décomplexée.
Parmi les plus médiatisées représentantes de cette "solidarité du mono-sourcil", l'on trouve son instigatrice, Sophia Hadjipanteli. La mannequin refuse l'épilation et autres "cachez ce poil que je ne saurais voir". A Glamour, elle déclare lutter à sa petite échelle afin "de normaliser quelque chose que la société nous presse de masquer". Un choix salué par ses plus de quatre-cent mille followers. Et qui, pour toutes les femmes qui se réapproprient le geste, ne peut être qu'une forme d'hommage à l'emblématique Frida Kahlo.
Celle-là même qui, comme le rappelle le site Net A Porter, concevait en ce mono-sourcil une preuve de sa "bizarrerie" et de son "étrangeté". Aux qu'en-dira-t-on, l'artiste peintre rétorquait par un beau message ("Je suis ma propre muse. Le sujet que je connais le mieux. Le sujet que je désire le mieux connaître") et un appel à toutes celles qui à travers le monde se considèrent comme "anormales" : "Je suis là, et je suis aussi étrange que vous".
Rien d'étonnant à voir Rosalía embrasser cette posture féministe très "body positive". Elle aussi chérit la "bizarrerie" et la soi-disant "anormalité". Dans les pages du magazine Elle, elle affirme son penchant pour "l'hétéroclite". Comme elle le dit à longueur d'articles, la chanteuse se contrefiche des compromis, quels qu'ils soient. Quitte à dérouter son audience. Qu'importe, sa philosophie reste toujours intacte. "Ma musique reflète ma façon de penser et je prends des risques parce que je sais que je dois en prendre. Et si je gagne, je gagne", explique-t-elle au magazine Elle. C'est d'ailleurs ce goût du jeu qui l'a conduit à faire ses premiers pas en tant qu'actrice, dans le film Douleur et gloire de Pedro Almodovar (excusez du peu).
Des convictions qui sont celles d'une icône. Voyez plutôt : le magazine Rolling Stone voit déjà en elle (et en ses "performances grandioses") celle qui devrait chasser Ariana Grande du "trône de la pop". Rosalía est-elle destinée à devenir une "queen" ? Dans nos coeurs, elle l'est déjà.