C’est l’approche de J.D. Salinger dans « L'attrape-cœurs », où un adolescent songe à avoir des relations avec une de ces femmes parfaites, qui jamais ne tirent la chasse. Sachant que ce livre s’est vendu à plus de soixante millions d’exemplaires et que le lectorat féminin est prépondérant, on imagine l’empreinte que ses idées et ses goûts ont laissé sur certaines.
Beaucoup de femmes, au moins dans les premiers temps d’une relation, se lavent et se récurent avant de rejoindre leur bien-aimé. Elles se couvrent de parfums et d’onguents, s’abstiennent d’aller aux toilettes, fuiraient la scène à l’idée d’un pet vaginal malencontreux, se privent de rendez-vous pendant leurs règles, et redoutent la sodomie avant tout parce que l’éventualité que des matières fécales se collent au phallus du partenaire leur est proprement insupportable. Souvent, elles se privent de jouir tant elles se concentrent à cacher les parties de leur corps qu'elles n’assument pas (ventre, fesses et seins font un trio de tête).
Pour beaucoup d'hommes, c’est lorsque la femme sait se montrer sous ses traits parfaitement humains qu'elle devient si fabuleusement excitante, que le cortex s’emballe et le sang circule jusqu'à 40 fois plus vite dans son pénis. Pour rester dans les exemples que livrent la littérature, Solal, le héros de « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, est obsédé par l’idée de saisir tout ce qu'Ariane essaie de soustraire aux moments partagés. Elle se trouve digne d’être aimée justement parce qu'elle parvient à masquer les bruits de chasse d’eau, ne se mouche pas et étouffe tous gargouillements lorsque son estomac crie famine. Au grand dam de Solal, mais aussi de sa domestique, qui regrette tant que sa patronne perde sa joie de vivre, sa façon d’être si pétillante, pour être dans la retenue et, croit-elle, mieux plaire à son amant.
On peut mesurer par la littérature la force des tabous : certains sont si puissants qu’ils sont ignorés même des artistes. Pas une ligne, je crois, sur les pets vaginaux, qui sont pourtant inévitables, sans odeur, sans conséquence, résultat naturel d’une pénétration qui laisse passer l’air, comme dans la position de la levrette par exemple. Les menstruations ne remportent guère plus de succès littéraire, mais le sujet est effleuré au cinéma, le plus souvent dans des films d’horreur (comme dans « Carrie » de Brian de Palma, où Sissy Spacek reçoit un seau de sang sur la tête, et reste paralysée à le voir couler tout le long de son corps), mais aussi dans des films d’auteurs comme ceux de Catherine Breillat ou Ingmar Bergman, qui ont exploité la violence symbolique du sang.
Plus la société nous impose de règles d’hygiène, plus elle impose d’offrir une représentation de nous-même la plus normée possible, moins les plaisirs érotiques pourront être stimulés. Si l’échec est une étape essentielle pour apprendre et surpasser ses propres peurs, il faut aussi garder à l’esprit que plus on partage d’odeurs et de sucs dans une relation amoureuse, plus l’attachement se renforce.
En d’autres termes, quelle relation pérenne une femme peut-elle construire avec un homme si elle ne donne pas tout, si elle garde la partie la plus vivante de son être sous cloche, à distance de son bien-aimé ? C’est dans les petits accidents de la vie que l’on mesure la profondeur des liens tissés avec l’autre, et, de même, c’est en mélangeant toutes les sécrétions des corps, en partageant le plus intime de nos entrailles que le plaisir s’attrape et se prend avec la même sensation jouissive que l'enfant qui transgresse. C’est ainsi que la volupté s’installe dans une moiteur ambiante suffisamment pérenne pour que la convoitise d’une tierce personne soit obsolète. Après la tempête, le rapport sexuel devient enfin fusionnel.
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