"La première page de la section Sports est censée être l'actualité la plus importante et la plus intrigante pour les lecteurs. Elle permet de voir à quel point les nouvelles peuvent paraître étranges, nues et vides quand les sports masculins ne sont pas mentionnés". Sur Instagram, la graphiste et aficionada de sport féminin Katherine Burgess s'est accordée une troublante expérience : retoucher la Une de la section sportive du New York Times... en retirant toutes les accroches mentionnant les exploits et athlètes masculins. Le résultat se passe de mots.
En résultent des pages étonnamment vides, purgées de toute image ou contenu. Preuve en est que les sportives n'ont guère droit à la Une, quand bien même le monde célèbre les exploits - entre autres - des footballeuses ou des tenniswomen. Un véritable scandale pour cette citoyenne de Pittsburgh qui a poursuivi le challenge une semaine durant. Conclusion : "Seulement 4% de la couverture médiatique de l'athlétisme est destiné aux femmes" aux Etats-Unis. Oui, ça fait mal. Bien sûr, admet-t-elle sur Instagram, les pages desdits journaux évoquent volontiers les athlètes féminines. Mais la couverture d'un média importe davantage : elle témoigne d'un choix éditorial, d'une décision de ce que lecteurs et lectrices souhaitent ou vont lire - ou non.
"J'ai décidé de me concentrer uniquement sur la première page pour rendre ce test plus digest et percutant", explique-t-elle encore à ses nombreux followers. A la lire, c'est une certaine histoire de sexisme dont témoigne ces drôles de posts, mais aussi "une histoire de photojournalisme" : ou comment les médias reflètent d'évidentes discriminations. Des inégalités flagrantes. "La plupart des femmes remarquent tout de suite quand il n'y a pas de couverture consacrée aux sportives", déplore Katherine Burgess. Et quand ce n'est pas le cas, dit-elle, cela démontre "que la mise en avant des hommes est de toute façon la norme dans notre société".
CQFD.
"Je voulais explorer cela parce que les sports féminins ne reçoivent actuellement que 4% de la couverture médiatique nationale. Même si [par-delà la Une] je dois dire que le Times a récemment publié une page quasi entière sur le tennis féminin, et une page entière sur une joueuse de football d'une équipe de lycée", poursuit-elle. La seule championne mise en Une ? Serena Williams.
Pas de diabolisation ou de généralisation là-dedans donc, mais simplement une expérience, limpide : choisir la section d'un journal, scruter la Une, et constater au fil des jours la manière dont se côtoient (ou non) les exploits féminins et masculins. Ludique et instructif.
Si ludique d'ailleurs que bien des internautes réagissent aux publications de la graphiste. Cette dernière incite cette audience à poursuivre l'expérience avec d'autres médias. "Plus on est de fous, plus on rit. J'adorerais voir les résultats !", se réjouit-elle. En attendant, la vision de ces Unes retouchées est perturbante : ne restent que des squelettes, constituant un tout digne d'une performance d'art contemporain. Une abstraction qui attriste son instigatrice. "Je pense que s'il y avait plus de Unes sur les sportives ou entraîneuses, cela inspirerait beaucoup la future génération d'athlètes féminines", assure la graphiste. Prendre la Une, un exploit qui se fait attendre.