Torrey Petters est une autrice transgenre au premier roman remarqué, Detransition, Baby, à forte tendance autobiographique. Mais l'enthousiasme que cette écrivaine suscite auprès des critiques (comme le New Yorker) et du public ne plaît pas à tout le monde. Ainsi sa nomination dans le cadre du Women's Prize for Fiction, l'un des plus prestigieux prix littéraires du Royaume-Uni, a engendré la mise en ligne d'une pétition virulente, contestant sa condition de femme autrice.
Dans cette lettre publiée par le Wild Woman Writing Club, des signataires anonymes fustigent ouvertement l'idée d'attribuer le Women's Price, estimé à une valeur de 30 000 livres sterling, à une autrice transgenre. A les lire, ce choix de nomination "exprime avec force le fait que les femmes autrices ne sont pas dignes de notre propre prix et qu'il n'y a rien de mal à permettre aux hommes de s'approprier nos honneurs".
Dans cette tribune, Torrey Petters est qualifiée "d'auteur masculin" et sa condition de femme de "fiction". "Misogynie" et "haine des femmes" sont des mots qui reviennent dans ce texte qui aurait été envoyé à plusieurs autrices à travers le monde, comme l'explique le Guardian.
A travers cette lettre ouverte, la nomination de Torrey Petters est également qualifiée "d'insulte" pour la condition des femmes. Des paroles virulentes qui ont suscité d'abondantes réactions. De la part des organisatrices de la cérémonie par exemple. Celles-ci ont déclaré dans un communiqué que "ce prix s'opposait fermement à toute forme de discrimination fondée sur la race, l'âge, la sexualité, l'identité de genre". Le jury déplore ainsi "toute tentative de calomnier ou d'intimider les juges ou les auteurs". Une réaction limpide.
Tout aussi limpides, les retours critiques d'écrivaines ayant pris connaissance de ladite tribune. Et parmi elles, les mots de l'autrice turque Elif Shafak : "Après avoir lu cette lettre ouverte inacceptable et contraire à l'éthique, nous devons répéter, encore et encore : les femmes transgenres sont des femmes. Les écrivaines trans sont mes soeurs". Un discours féministe et sororal en puissance que soutient la romancière irlandaise Naoise Dolan. Cette dernière, poursuit le Guardian, a loué les qualités de Detransition, Baby ("un chef-d'oeuvre"), et qualifie la lettre ouverte de véritable "honte transphobe".
En ce sens, les organisatrices tiennent à rappeler que "toute personne légalement définie comme une femme peut être inscrite dans le cadre de ce prix, le mot 'femme' équivalant à une femme cisgenre et à une femme transgenre, qui est légalement définie comme une femme". Voilà qui est dit. Et la principale concernée, alors ?
Soutenue par son éditeur, ses consoeurs romancières mais aussi de nombreuses librairies féministes qui promeuvent son livre, Torrey Petters s'est elle aussi exprimée. "Je suis fière de cette nomination mais j'ai reçue, pour la première fois de ma vie, une véritable vague de haine, qui m'a blessé et m'a fait peur. Historiquement, chaque fois qu'une personne d'un groupe marginalisé est récompensée pour la première fois dans le cadre d'un prix, ce n'est pas nécessairement une partie de plaisir...", a déploré l'autrice.
Avant de conclure, pleine d'espoir : "Mais j'espère que ce sera le cas pour la prochaine femme trans à figurer sur cette liste". On l'espère également. En attendant, de nombreuses lectrices incitent à découvrir ce premier roman des plus prometteurs. Ainsi la journaliste Zing Tsjeng écrit : "Au lieu de lire cette fameuse lettre, faites-vous un cadeau et achetez Detransition, Baby !". CQFD.