C'est une humiliation qui fait couler beaucoup d'encre. Lors de sa venue à Ankara, la capitale de la Turquie, le 6 avril dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s'est retrouvée bien embarrassée : aucune chaise n'avait été prévue pour l'accueillir aux côtés du président du Conseil européen Charles Michel et du Président de la République de Turquie Recep Tayyip Erdogan. Malaise.
Erreur de protocole ? Ou signe parmi d'autres du sexisme trop familier du gouvernement Erdogan ? Bien des journalistiques et personnalités politiques ont leur petite idée à ce sujet. Car la séquence, filmée, fait scandale sur la Toile. "C'est une humiliation pour toutes les femmes et pour tous les Européens", a ainsi témoigné la professeure agrégée à Sciences Po Paris et ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti.
Les images diffusées dévoilent toute la perplexité d'Ursula von der Leyen durant cet incident. La présidente de la Commission européenne constate d'abord l'absence de chaise, puis l'indifférence totale du président turc Recep Tayyip Erdogan et du président du Conseil européen, Charles Michel, confortablement installés sur des fauteuils. Ursula von der Leyen a finalement trouvé place sur un canapé. Mais pour le journal Le Monde, cela n'arrange en rien le message envoyé : la présidente serait exclue d'un "cercle", comme mise "en retrait". Une scénographie au sens politique éloquent.
Même interprétation du côté de la sénatrice, ancienne ministre et militante féministe Laurence Rossignol, qui voit en cette situation, plus qu'une stratégie politique subtile, un symbole parmi d'autres de la violence du pouvoir patriarcal. "Humilier la femme pour humilier l'adversaire. Maltraiter les femmes pour affirmer sa supériorité virile. C'est ce que fait le patriarcat depuis des siècles", analyse-t-elle en ce sens sur son compte Twitter.
"Les présidents de la Commission et du Conseil ont toujours le même rang protocolaire. Ils auraient donc dû être assis au même endroit", déplore encore Eric Mamer, le porte-parole d'Ursula von der Leyen.
Pas de quoi redorer le blason du gouvernement Erdogan, qui s'est récemment illustré en annonçant le retrait de la Turquie de la convention européenne contre les violences faites aux femmes - la fameuse convention d'Istanbul. C'est ce même sexisme sous-jacent qui serait à l'origine de cet incident diplomatique. "Qu'est ce que le privilège masculin ? C'est pouvoir profiter du bon gros machisme de quelques uns pour écraser sa rivale et se hisser dans le fauteuil des chefs, la conscience tranquille. Être un homme féministe c'est refuser ce privilège injuste", poursuit Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des Femmes.
Ursula von der Leyen elle-même souhaite éveiller les consciences. Interrogée à ce sujet lors d'une conférence, elle n'a pas hésité à rappeler le retrait de la Turquie de la convention d'Istanbul. "Je suis profondément inquiète sur le fait que la Turquie se soit retirée. Nous parlons ici de protéger femmes et enfants contre la violence". Malheureusement pour la Présidente, la violence sexiste est parfois plus insidieuse qu'on ne pourrait le croire.
Suite à cet incident, le président du Conseil Charles Michel s'est expliqué sur Facebook : "Les quelques images qui en ont été diffusées ont donné l'impression que j'aurais été insensible à cette situation. Rien n'est plus éloigné ni de la réalité, ni de mes sentiments profonds. Ni enfin des principes de respect qui me paraissent essentiels. Sur le moment, tout en percevant le caractère regrettable de la situation, nous avons choisi de ne pas l'aggraver par un incident public, et de privilégier en ce début de rencontre la substance de la discussion politique que nous allions entamer."
Selon l'entourage de Charles Michel, la Turquie aurait appliqué les règles protocolaires. "Le traité de Lisbonne prévoit qu'à l'étranger le président du Conseil a la préséance sur le ou la présidente de la Commission", rapporte le Monde. Pas vraiment le même son de cloche du côté porte-parole d'Ursula von der Leyen : "La présidente von der Leyen a été surprise. Elle a décidé de passer outre et de donner la priorité à la substance. Mais cela n'implique pas qu'elle n'accorde pas d'importance à l'incident", a ainsi commenté Eric Mamer.