Cinquième site mondial en terme de fréquentation, Wikipedia est l'encyclopédie collaborative la plus importante du monde. Mais si le site permet à chacun de créer et éditer des pages sur tous les sujets de la connaissance humaine, plusieurs études démontrent le profond déséquilibre de la plateforme au détriment du sexe féminin.
Déséquilibre en terme de contributeurs d'abord. Des sondages réguliers démontrent que près de 91% des volontaires wikipédiens sont des hommes (voir infographie ci-dessous). Même si de récentes études affirment que la part de femmes serait en réalité plus élevée qu'on le pensait, comme le soulignait le site Slate l'année dernière.
Déséquilibre sur le fond ensuite, puisque, selon un nombre croissant de chercheurs, le contenu même de Wikipédia souffrirait d'un biais masculin. Gênant quand on sait qu'avec plus de 4,6 millions d’articles, la plateforme créée en 2001 fait partie de nos premières sources d'information.
Mais dans quelle proportion l'encyclopédie est-elle biaisée ? La question a déjà été adressée depuis plusieurs années par nombre de sociologues et scientifiques. Si de manière générale, on observe que les sujets jugés « féminins » sont traités beaucoup moins en longueur que des sujets plutôt « masculins », des mouvements féministes s'appliquent à pointer du doigt les nombreuses disparités dénichées sur la plateforme.
Ainsi, la création d'une liste « Femmes romancières américaines », sur la version américaine de Wkipédia, a provoqué une levée de bouclier parmi les auteures qui ont perçu l'initiative comme sexiste, au motif qu'il n'existait pas de liste similaire baptisée « Hommes romanciers américains » mais simplement « Romanciers américains ». « Ce sont probablement ces petits détails, facilement réparables, qui rendent l'égalité difficile à acquérir pour les femmes dans le monde de la littérature », argumentaire à l'époque la romancière Amanda Filipacchi dans le New York Times.
Autre exemple relevé par le site RSLN : « la liste des actrices de films pornographiques des années 50 à nos jours est trois fois plus conséquente que celle des Amérindiennes célèbres et compile plus de noms que pour les femmes dans le sport et dans la littérature poétique ». Une disparité que beaucoup attribuent, là encore, au grand nombre de contributeurs masculins de l'encyclopédie.
Alors Wikipédia : sexiste ou pas ? L'affirmer haut et fort serait partiellement faux. D'une part en raison du fonctionnement même de l'encyclopédie : le crowdsourcing, c'est-à-dire la capacité de la plateforme à générer de la connaissance grâce à un grand nombre de personnes. « Wikipedia ne choisit pas ses éditeurs, et les utilisateurs ne connaissant souvent pas le sexe des autres contributeurs car la plupart sont anonymes », faisait ainsi remarquer Vice en 2013. D'autre part, car la Fondation Wikimédia, organisme chargé de gérer l'encyclopédie, est très au fait de ce déséquilibre de genre et a d'ailleurs fixé des objectifs tendant à faire passer la part de femmes contributrices à 25% à l'horizon 2015.
Mais ce déséquilibre hommes-femmes influence-t-il la façon dont les sujets sont traités sur Wikipédia ? La question est désormais prise très au sérieux, au point que le gouvernement américain s'y intéresse. La National Science Foudation (NSF), équivalent outre-Atlantique de notre très sérieux CNRS, finance depuis cette année des travaux sur la question.
Deux professeurs des universités de Yale et New York ont ainsi reçu une bourse de 202 000 dollars pour étudier la relation de Wikipédia au sexisme, et notamment comment celui-ci influence le contenu de l'encyclopédie. Selon la NSF, « les recherches émergentes indiquent que Wikipédia souffre d'un biais de genre systématique, aussi bien au niveau des éditeurs que des contenus ». « La sous-représentation des femmes spécialistes réduit la qualité et l'exhaustivité de Wikipédia », déplore l'organisation avant de conclure : « Les résultats de ces travaux devront clarifier où apparaissent, dans la chaîne complexe des connaissances, les disparités de genre ».
Si certains élus au Sénat voient dans ce projet un « gaspillage des dépenses gouvernementales », d'autres tentent de contribuer à leur échelle au rééquilibrage des deux sexes sur l'encyclopédie. A l'image de Deanna Zandt, spécialiste des médias, qui dans ses interventions encourage régulièrement les femmes à éditer Wikipédia. Ou ces étudiantes de Brown University, dans le Rhode Island, à l'origine d'un « edit-a-thon » Wikipédia. Le principe : créer les fiches "wiki" de femmes méconnues aux contributions pourtant influentes dans les domaines des sciences et technologies. Peut-être encore la meilleure manière de faire (un jour ?) de Wikipédia le lieu de la parité sexuelle.