"Au fond, la blonde à forte poitrine se foutait de la célébrité. Ceux qui sont convaincus qu'elle cherchait avant tout l'admiration du plus grand nombre se trompent. Elle voulait être aimée, entourée et choyée. La célébrité procure parfois l'illusion de cela". Cette blonde en 4 dimensions s'appelait Anna Nicole Smith. Peu connue en France, cette poupée peroxydée qui s'imaginait Marilyn des temps modernes a pourtant marqué l'Amérique et son époque. Élue playmate de l'année par Playboy en 1993, mariée à un nonagénaire milliardaire la même année, Anna Nicole Smith fut au coeur d'un procès retentissant qui l'opposa au fils du vieil homme. Drogues, frasques en tout genre, bataille rangée autour d'un héritage, mais aussi télé-réalité, la playmate a vécu tour à tour le rêve et le cauchemar américain jusqu'à son décès en 2006 suite à une overdose accidentelle.
Cette vie en plastique, l'auteure Camille de Peretti s'en est emparée pour écrire son sixième roman, Blonde à forte poitrine (ed. Pocket). Dépassant le cadre de la biographie, le livre est une ode aux bimbos de ce monde, ces "monstres médiatiques" dont il est tellement facile de se moquer. Touchante de naïveté, troublante, la version d'Anna Nicole Smith racontée ici nous donne des envies de sauvetage. On le sait, ce conte made in Hollywood ne peut que finir mal, alors on s'accroche à cette blonde, on tente de la retenir, de l'apaiser, de lui donner un peu d'amour. Anna Nicole Smith est l'une des premières personnalités devenues célèbres alors qu'elle n'avait aucun talent. Aveuglée par son propre corps, perdue dans sa plastique, cette blonde à forte poitrine est une véritable héroïne tragique, une fille tout simplement née à la mauvaise époque. Rencontre avec Camille de Peretti à l'occasion de la sortie de son livre en format poche.
Camille de Peretti : J'ai découvert Anna Nicole Smith alors que j'étais à New York. On jouait un opéra sur sa vie, ce qui est totalement improbable. Au début, j'ai eu du mal à croire que c'était inspiré d'une histoire vraie, je trouvais tout ça complètement dingue. Puis j'ai fait des recherches et je me suis dit : "C'est l'histoire parfaite, c'est un personnage incroyable, il y a tout ce dont peut rêver un écrivain". A partir de là, j'ai commandé tous les livres qui avaient été écrits sur elle, j'ai vu tous ses films – même les films porno -, et j'ai même regardé tous les épisodes de son émission de télé-réalité. Puis j'ai tout arrêté et j'ai commencé à écrire. Tout le temps qu'a duré l'écriture, je me suis empêchée de revoir des photos d'elle... je voulais vraiment que ce soit mon personnage. Donc je me la suis d'abord appropriée pour m'en éloigner ensuite.
C.D.P. : C'est une personnalité hors du commun, mais moi ce que je voulais absolument, c'était qu'on l'aime. Je voulais qu'elle soit touchante. Parce que la vraie Anna Nicole Smith, si vous vous plongez vraiment dans sa vie, vous vous rendez compte qu'elle a un côté vraiment détestable. Donc j'ai pris parti pour elle, j'ai transformé la réalité, pour qu'on l'aime.
C.D.P : Parce que je voulais défendre la blonde à forte poitrine. Je voulais aller contre le cliché qui fait de toutes ces filles des décérébrées, des crétines pas intéressantes. Et pour aller contre ce stéréotype, il fallait vraiment qu'on s'attache au personnage, qu'on pleure avec elle. Alors que dans la réalité, Anna Nicole Smith fait surtout pitié.
C.D.P : Selon moi, elle se situe à un moment très charnière. Jusqu'à Anna Nicole Smith, les fameuses blondes à forte poitrine comme Marylin Monroe ou Jayne Mansfield, étaient actrices, etc. C'est-à-dire qu'elles étaient stars pour une raison. Mais Anna Nicole Smith est l'une des premières célébrités qui n'a rien fait d'autre que d'être ce qu'elle est. A part avoir des gros seins et se montrer devant une caméra, elle n'a rien fait. Elle n'a pas eu de discours, elle n'a rien écrit, elle n'a pas chanté. Cette fille n'a rien fait. Personnellement, c'est quelque chose qui dans la société actuelle me fascine totalement. Avant Nabilla, Loana et consorts, Anna Nicole Smith a été la première. Elle a essuyé tous les plâtres ! Les filles d'aujourd'hui qui font de la télé-réalité sont beaucoup plus armées. Elles savent très bien ce que c'est et comment ça fonctionne. Elles ont compris le système, alors qu'Anna Nicole Smith était la véritable débutante. Son émission de télé-réalité est la première du genre, ce qu'on ne sait pas forcément. Donc pour moi, c'est le tout début de la peopolisation pure. Tout d'un coup, le talent n'est plus requis, tout ce qui compte c'est le physique, une certaine candeur et une faculté à dire des conneries naturellement. Et ça, c'est quelque chose qui m'intéresse beaucoup.
C.D.P : A 100%. Elle s'est fait complètement avoir par la vie, par les hommes. C'était une poupée, elle se laissait guider par les autres. Je pense que tout s'est enclenché la première fois qu'on lui a dit de se faire refaire la poitrine. Avant ça, c'était une jolie blonde assez banale, mais à partir du moment où elle est transformée dans sa chair, elle passe un cap.
C.D.P : Oui, parce que je voulais vraiment combattre les clichés. Le premier, c'est celui de la blonde décérébrée et le deuxième, c'est celui qui dit que toutes ces filles-là courent après les mecs pour leur fric et qu'il n'y a donc pas d'amour possible entre un vieux riche et une jeune belle poulette. Evidemment, l'histoire d'Anna Nicole Smith et de son vieux milliardaire est un extrême, mais dans notre quotidien, on peut connaître des mecs qui ne sont pas riches, qui sont juste un peu vieux et qui sont en couple avec des filles plus jeunes. Et même dans ces cas-là, on entend toujours les mêmes phrases, du genre : "Elle n'est intéressée que par son fric". C'est quelque chose qui m'énerve. Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas d'amour possible entre ces gens ? Pourquoi est-ce que lui ne pourrait pas lui apporter une sorte de tendresse et de stabilité ? Pourquoi elle n'aurait pas le droit de lui apporter un coup de jeune ? Dans le cas d'Anna Nicole Smith, pourquoi un homme âgé de 80 ou 90 ans n'aurait pas le droit d'avoir encore envie d'une femme ?
Ce n'est pas parce que l'on est vieux que l'on n'a plus envie de sexe. Dans un de mes précédents romans qui s'appelle Nous vieillirons ensemble (ed. Le Livre de poche), je mettais en scène des vieux dans une maison de retraite, des vieux qui s'aimaient, qui faisaient l'amour. Les gens ont été très durs avec moi, on m'a dit que je n'avais pas le droit de parler de la sexualité des personnes âgées. Mais moi j'ai passé 6 mois dans une maison de retraite et ça existe. A ce moment-là, je ne vois pas pourquoi je n'en parlerais pas. Mais ça, les gens ont du mal à le comprendre, surtout les enfants de ces personnes âgées. Imaginer son père ou sa mère avoir une vie sexuelle en maison de retraite, alors que bien souvent la personne est veuve, ça gène, c'est même quelque chose de viscéralement insupportable pour les enfants.
C.D.P : En combattant ce cliché de la relation amoureuse entre une jeune femme et un vieux monsieur, j'ai eu un peu peur de tomber dans un piège. Parce que si les gens se mettent à croire à cette histoire d'amour, le fils du milliardaire apparaît forcément comme un salaud. Et ça, c'est quelque chose qui ne me plaisait pas non plus. Je voulais montrer que pour lui c'est difficile. Je ne voulais pas forcément qu'on l'aime mais je voulais qu'on le comprenne. C'est pas cool de voir votre père avec Anna Nicole Smith, c'est pas facile d'être content pour son père. L'idée était de ne pas juger les gens au premier regard. De dire : oui, c'est possible d'aimer un homme de 60 ans de plus que soi, et oui, c'est possible de ne pas aimer voir son père heureux.
C.D.P : C'était très important pour moi. Je me suis dit que le truc qui fait la grandeur d'âme de cette femme, c'est le fait qu'elle soit mère avant toute chose. Il faut toujours s'approprier son personnage, et je suis quand même assez loin de la playmate (rires), donc je me demandais comment j'allais pouvoir me glisser sous sa peau. Et puis j'ai réalisé : "C'est une maman comme moi". Donc tous les passages qui concernant sa relation avec son fils, c'est moi en fait qui parle. C'est terrible à dire mais pour décrire son accouchement, j'ai parlé du mien. Je me suis vraiment rapprochée d'elle à ce moment-là. Je suis très maternelle et j'ai voulu lui insuffler ce trait de personnalité.
C.D.P : Ce qui est sûr, c'est que c'est un vrai symptôme de notre société. On n'est pas face à un épiphénomène. Je ne sais pas si c'est intéressant, mais en tout cas il faut se pencher dessus. Si vous voulez comprendre la société actuelle, vous ne pouvez pas ignorer ces gens-là. C'est la société du spectacle qui est poussée à l'extrême. J'ai interviewé Nabilla au moment de la sortie de son livre pour le magazine ELLE, c'est absolument fascinant. On m'avait envoyé parce que si il y a bien une personne qui pouvait être de son côté, c'était moi. Nabilla est jeune, encore immature, elle se met parfois en danger, mais c'est un personnage captivant. C'est une fille qui a plus de followers sur Twitter que Nicolas Sarkozy. C'est devenu quelqu'un d'important. Elle envoie un tweet, ça fait réagir des millions de gens. Il faut prendre en compte tout ça.
Blonde à forte poitrine, de Camille de Peretti, ed. Pocket, 168 pages, 5,95€