Dans son documentaire Ouaga Girls (sortie ce 7 mars 2018 au cinéma), la réalisatrice suédoise Theresa Traore Dahlberg nous plonge dans le quotidien de jeunes femmes originaires de Ouagadougou, capitale du Burkina-Faso. Ces adolescentes africaines ont toutes un point en commun : elles étudient au Centre féminin d'initiation et d'apprentissage aux métiers (CFIPM) et rêvent de devenir mécaniciennes. Pendant 1h20, Ouaga Girls nous fait découvrir le quotidien de ces jeunes femmes âgées de 16 à 22 ans qui, vêtues de leur bleu de travail, n'hésitent pas à passer sous le capot pour apprendre les rouages de la mécanique.
Dina, Chantale et Bintou, les trois protagonistes du film, défendent leur légitimité dans ce secteur professionnel présupposé pour les hommes. "Nous aussi, on de la force", répond l'une d'entre elles à un de ses camarades de la CFIPM qui lui fait remarquer, un brin septique, que ce travail demande de la force. Pourtant, Ouaga Girls se concentre moins sur le sexisme à l'encontre des femmes au Burkina Faso que sur les rêves et la vie de ces adolescentes avec qui la vie n'a pas toujours pas été tendre. En classe, elles se comportent comme de jeunes étudiantes ordinaires : dissipées, pleines d'entrain, parfois captivées, parfois distraites, voire carrément absentes.
Entrecoupé de confidences recueillies lors de séances filmées avec la psy de l'école ou lors de conversations entre copines, le documentaire nous dévoile un autre aspect de ces jeunes battantes, qui semblent lutter entre leur volonté de travailler pour devenir indépendantes et leur désir de vivre comme toutes les autres jeunes femmes de leur âge. Bintou rêve de devenir actrice et chanteuse, Dina de fonder une famille. Quant à Chantale, son plus profond désir est de retrouver sa mère qui est partie lorsqu'elle était enfant.
Theresa Traore Dahlberg a passé un an et demi à filmer ces "Ouaga Girls". La cinéaste est née à New York mais a passé plusieurs années à Ouagadougou lorsqu'elle était adolescente. Après Taxi Sister (2010)- un documentaire de 28 minutes sur une femme taxi à Dakar (Sénégal)- Theresa Traore Dahlberg foule à nouveau le sol africain. Entretien avec la réalisatrice.
Theresa Traore Dahlberg : Je m'intéresse à la question des choix que l'on est amené à faire dans sa vie et à la manière dont les normes dictées par la société nous affectent dans nos décisions. Je vivais à Ouagadougou quand j'avais l'âge des filles que l'on suit dans mon documentaire, donc j'étais aussi curieuse de connaître la vie d'une jeune Burkinabée d'aujourd'hui. J'ai voulu suivre ces jeunes femmes à l'école, mais aussi dans leur vie, quand elles sont entre copines, quand elles sortent le soir, raconter les relations avec leur famille, quels sont leurs loisirs etc.
Je souhaitais filmer tous ces moments spéciaux de la vie, ceux de la fin de l'adolescence, dernier moment d'insouciance avant d'entrer dans l'âge adulte. Mon film montre des personnages très distincts les uns des autres, avec des rêves et des expériences radicalement différentes, mais qui sont unis par une profonde amitié. Ce lien m'a beaucoup inspirée.
Au départ, je voulais vraiment me concentrer sur l'ensemble de la classe d'étudiantes, et insister sur les notions d'amitié et de sororité. Dans ce sens, tous les personnages sont intéressants. Mais quand j'ai fait le montage, certaines histoires ont pris le pas sur d'autres. Je continue à penser que mon film parle davantage d'un groupe de femmes dans son ensemble même si c'est vrai que Bintou, Chantale et Dina occupent une place importante.
Ce que j'ai trouvé intéressant avec ces filles, c'est qu'elles n'ont pas vraiment choisi de devenir des pionnières de la mécanique. Ce sont des filles normales, qui ne sont pas retournées à l'école parce qu'elles ont du quitter le système scolaire avant leur diplôme pour diverses raisons (grossesse précoce, problèmes familiaux). Cette formation au CFIPM est une chance pour elles de s'en sortir, de trouver un travail. Mais elles n'en restent pas moins des jeunes femmes qui souhaitent s'amuser.
Tout comme la plupart des adolescents de Ouagadougou et d'ailleurs, leur parcours est loin d'être tracé à l'avance. Certaines d'entre elles aspirent à devenir chanteuse, médecin ou styliste. Mais d'autres se sont vraiment prises de passion pour la mécanique et les voitures au fil des ans. Aujourd'hui, la moitié des étudiante que j'ai filmée travaille dans des garages.
La sororité, la fragilité du temps qui passe et la difficulté à faire des choix lorsque l'on est jeune et que la période que l'on traverse est cruciale pour son futur.
Absolument. Ce film parle de filles qui se retrouvent confrontées à des choix de vie, mais qui dans le même temps doivent faire face aux attentes d'une société patriarcale (être une bonne mère, une bonne épouse, tenir un foyer...). C'était également très important pour moi de travailler avec une équipe de production féminine. Je souhaiterais voir plus de films sur les femmes, réalisés par des femmes. Et bien sûr, j'aimerais voir davantage de femmes noires au cinéma.