« Encore aujourd’hui, les femmes font des disques ou des films de qualité, et on leur demande de livrer leurs secrets de beauté ou de poser à poil. A quand Vincent Lindon tout nu sur la moquette pour son prochain film ? » Cette phrase d’Helena Noguerra lâché au magazine Elle, en dit long sur la différence de traitement qui est faite entre les comédiens de sexe masculin et féminin. Combien d’interviews, en effet, ne compte-t-on, au cours desquelles on pose à une comédienne la sempiternelle question. A-t-elle moins de trente ans, on veut savoir si elle pense faire de la chirurgie esthétique plus tard. Affiche-t-elle la quarantaine, on ose, un peu gêné, tâter le terrain pour savoir si ce front lisse est une précieuse offrande divine ou le travail onéreux d’un quelconque pro du billard. Quant à celles qui ont eu l’outrecuidance de squatter les écrans passée la cinquantaine, on les compare. Celle-ci « vieillit bien », telle autre « a pris cher », quant à celle-là, elle a carrément abusé des injections, s’est massacrée.
Pourtant, ainsi que le déplorait Emmanuelle Béart, première victime du genre, dans les colonnes de Gala, « est-ce qu'on demande à un acteur s'il se fera des injections de Botox quand il atteindra la cinquantaine ? ». Ou des implants, une liposuccion de l’estomac, un petit coup de frais sur ces vilains plis qui viennent assombrir un regard ? Car ne nous leurrons pas. S’il est certes demandé aux actrices de rester agréables à regarder, métier de l’image oblige, il peut être tout aussi dérangeant de subir au cinéma des scènes d’amour gémies par un Depardieu bedonnant ou un Kad Merad dégarni. En bref, retrouvons celui qui a dit un jour aux hommes qu’ils se bonifiaient avec le temps, légende urbaine à laquelle la plupart se cramponnent avec la crasse énergie du désespoir, et pendons-le par ses implants capillaires. Non messieurs, sachez-le, nous sommes tous soumis aux mêmes cruautés du temps qui passe.
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Pourtant, « il y a une grande misogynie [dans le fait que les hommes ne soient pas interrogés sur la chirurgie esthétique], une forme de bienveillance à l'égard des hommes dont nous, les femmes, ne bénéficions pas. Je ne me suis jamais considérée comme une victime mais ce que j'entends sur les actrices, sur les femmes est souvent abject », ajoutait Béart, lucide et résignée.
Dans la « vraie vie », la nôtre, on scrute, on furète sur les visages féminins des post-quadras pour déterminer qui, ô scandale, a filé un petit coup de pouce à la nature, remonté une arcade, comblé un pli, regonflé un sein. Une chasse aux sorcière est lancée contre celles qui n'auraient pas suivi les règles du jeu, et auraient fraudé le temps qui passe sans être solidaire avec ses compagnes d'infortune. Hier, Sandra Bullock a eu cinquante ans. L’âge de Nicolas Cage, de Franck Dubosc, de Brad Pitt, de Kad Merad, d’Elie Semoun et de Lenny Kravitz. Pourtant, à Lenny, si jeune pour son demi-siècle, personne n'a demandé s’il avait, dans l’intimité d’un cabinet, subi quelque honteuses injections dont on eut cruellement pu moquer les effets. Car c’est entendu, qui a craqué a fauté.
Et Helena Noguera de conclure que « dans les années 70, les féministes ont brûlé leurs soutien-gorge, aujourd’hui les femmes veulent redevenir sexy pour montrer que tous les corps sont beaux mais, en même temps, elles redeviennent des objets de désir. J’ai souvent l’impression qu’on vit dans un monde fou. Si j’avais une fille, je ne saurais pas quoi lui dire... »
Si Vincent Lindon voulait bien poser à poil sur la moquette ou Lenny balancer le nom de son chirurgien, peut-être ce nouveau sexisme cesserait-il d'enfler à mesure que les femmes, et les actrices, repoussent les limites de leur désirabilité*.