Agnès Jaoui est un phare dans la nuit : de ses oeuvres à la valeur politique passionnante en tant que scénariste et réalisatrice, aux côtés de son regretté compère Jean-Pierre Bacri (Le goût des autres), à ses dernières performances en tant qu'actrice (Aurore, Comme un avion), déboulonnant les stéréotypes associés aux femmes de cinquante ans et plus, l'artiste a toujours revendiqué son engagement.
Un engagement où le féminisme n'a rien d'un gros mot. Au contraire. L'actrice l'a encore démontré le 26 mars dernier d'ailleurs lors d'une masterclass organisé au sein du Festival de Films de Femmes.
Une initiative qui fête sa quarante-cinquième édition, et tend à mettre au premier plan les femmes qui font le cinéma, art qui ne serait rien sans elles : on pense aux oeuvres de la pionnière Alice Guy, la première réalisatrice de l'Histoire du cinéma, des films avant-gardistes bien que trop longtemps oubliés, et qui nous ramènent carrément à l'époque des frères Lumière.
Aujourd'hui, on parle peut être davantage des femmes cinéastes. Avec de grands noms comme ceux de Julia Ducournau (lauréate de la Palme d'or 2021 avec Titane), Rebecca Zlotowski (Les enfants des autres) ou Audrey Diwan (L'événement, d'après Annie Ernaux). Mais ca n'a pas toujours été le cas malheureusement.
Et Agnès Jaoui l'a déploré lors de sa masterclass, relève Le Parisien : "Vers 19 ans, j'ai pris conscience que je ne lisais que des livres écrits par des hommes, que l'histoire de l'art ne nous parlait pas des films réalisés par des femmes, qu'il n'y avait pas assez de femmes célébrées au Festival de Cannes...".
La réflexion d'Agnès Jaoui n'est pas anodine. En déplorant par exemple le fait de ne lire "que des livres écrits par des hommes", elle fait écho aux réflexions de la militante lesbienne Alice Coffin, qui avait fait polémique... en affirmant simplement dans son manifeste Le génie lesbien son envie de ne lire que des livres écrits par des femmes. Histoire d'équilibrer une balance qui a trop longtemps valorisé un côté...
Equilibrer la balance, c'est le souhait d'Agnès Jaoui aujourd'hui.
D'où son implication dans la mise en avant des femmes cinéastes. Mais ce n'est pas toujours facile dans un système patriarcal comme le cinéma. Ce qu'Agnès Jaoui a d'ailleurs compris en devenant actrice : "J'avais envie d'être toutes les femmes, celle qui séduit par son corps, l'autre par sa tête. Mais séduire m'enfermait. Finalement, ne pas avoir été choisie dans des rôles pour ma beauté fut une chance. Mais ce ne fut pas une lutte simple !".
Une lutte que partagent toutes celles qui souhaitent s'émanciper du "male gaze" tel que le définit la critique cinéma Iris Brey : ce "regard masculin", celui du réalisateur, mais aussi du spectateur, qui vient sexualiser le corps des femmes, le modeler selon ses désirs stéréotypés, dans les films et les séries.
Face à cela, une alternative : le "female gaze". C'est à dire, le regard des femmes cinéastes. Celui qu'elles portent sur les actrices, leurs personnages, leur complexité, leur liberté. Un point de vue défendu par la célèbre actrice. Ainsi que par les réalisatrices invitées elles aussi au Festival du film de femmes : Rebecca Zlotowski et Coline Serreau (Trois hommes et un couffin).