Elle a failli tout arrêter. Partir sans revenir, après 15 ans de carrière et des millions de disques vendus. Parce que sa vie privée a pris le pas sur la musique, parce que ses deux filles, Sofia (née en 2016) et Hana (née en 2017) ont déboulé dans sa vie et que cet amour a tout dévoré. Puis, progressivement, Amel Bent a rouvert cette parenthèse et l'envie est revenue en douceur.
Elle a regagné les studios pour façonner un sixième album, Demain, qu'elle décrit comme "la playlist de sa vie", entre ballades puissantes et mélodies addictives, ornées de cette voix unique et vibrante.
Aujourd'hui, les mots sont plus militants, la parole plus engagée. Amel a mûri. Toujours aussi cash, la chanteuse a accepté de nous parler de son come-back musical, de cet équilibre fragile qu'elle tente de maintenir entre vie pro et vie perso et de son féminisme à elle. Le tout sans langue de bois.
Amel Bent : L'appétit vient en chantant ! Déjà, je n'avais pas trop compris ce qui m'avait enlevé l'envie... Je sentais juste que ma place n'était plus sous les projecteurs à un moment. Cela dépend du parcours de chacun et chacune : devenir mère ou devenir père, ça n'a pas le même impact chez tout le monde. J'ai plein de copines qui sont mère, d'autres qui ne le sont pas, des copains qui sont père, d'autres pas. Et personne n'a la même vision du truc de toute façon.
De ne pas avoir grandi avec mon papa, cela m'a fait fantasmer une vie de famille que je n'ai pas eue. C'est devenu une quête ultime pour moi. La première fois que ma fille a appelé mon mari "papa", j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps ! Parce que je n'ai jamais eu cette chance. Cela a résonné en moi, j'en ai eu des frissons dans tout mon corps...
A.B.: Oui, complètement. Quand j'ai su que j'allais donner la vie et même avant, lorsque j'ai rencontré ma moitié et que j'ai su que j'allais faire ma vie avec lui et qu'on allait fonder un foyer, ma vie de chanteuse était loin. Je ne voulais pas vivre ça entre deux concerts ou entre deux promos. Je voulais le vivre à fond l'amour et cette création de cocon. Je vis le métier de chanteuse passionnément et cela ne m'aura pas permis de vivre autre chose. Ca ne laissait aucune place à cette vie de famille et cette vie de couple. Et finalement, le plus dur a été de sortir de ce truc qu'on a créé à deux.
A.B.: Mon mari m'a beaucoup aidée. Il a poussé pour me virer de la maison. Il m'a beaucoup parlé, il m'a remonté le moral. Chanteuse, c'est toute ma vie, mes espoirs, mes rêves, ces 15 dernières années. Et du coup, me dire que tout cela était derrière moi, c'était presque un deuil, c'était un bouleversement, un vrai questionnement de vie.
A.B.: Cela s'est fait petit à petit et encore aujourd'hui, c'est au jour le jour. La première chose que j'ai faite étant maman et enceinte de ma deuxième fille, c'est allere enregistrer Que je t'aime de Johnny Hallyday, qui avait demandé personnellement à ce que je chante cette chanson. C'était la première fois que je retournais en studio pour une chanson qui était vouée à être commercialisée après l'accouchement de ma première fille. J'ai ressenti des sensations que je n'avais pas vécues depuis trois ans. Ça m'a fait tout drôle !
Puis il y a eu The Voice Kids. Je venais d'accoucher de ma deuxième fille. Reprendre le chemin de la lumière avec des enfants, de la musique et des amis, je ne pouvais pas rêvais mieux. Et enfin, je suis retournée en studio pour "accoucher" de mon album à moi. Cela a mis du temps, mais j'ai réussi. Et tout le monde s'est adapté à moi en plus. J'ai enregistré à deux pas de chez moi et de la crèche. J'emmenais mes enfants le matin, j'allais chanter et j'étais devant la crèche à la sortie. La transition s'est faite en douceur.
Et depuis quelques semaines, c'est le papa qui prend beaucoup la relève. Mais il y a des choses auxquelles je tiens énormément : je veux aller chercher mes enfants. Je sais qu'il y a plein de parents qui ne peuvent pas aller chercher leurs enfants à l'école, il y a des nounous, des grands-parents, des voisins. Mais pour moi, je le ressens comme une défaite si je n'ai pas réussi à faire les deux !
A.B.: Je suis avec mes filles comme ma mère était avec moi et comme ma grand-mère était avec ma mère. Il faut se rendre compte de l'impact de son propre comportement à la maison sur les gens qui vivent avec vous : mes enfants, mon mari. C'est comme ça aussi qu'on éduque les gens autour de soi, c'est par son propre comportement. Je pense que ma façon d'agir, même sans le vouloir, est féministe.
Dans une interview, on m'a demandé : " Est-ce qu'on vous aide à faire le ménage à la maison ?". Alors, déjà dire ça, "Aidez-moi", c'est pas féministe ! Cela veut dire que sur le papier, ce serait mon rôle et qu'il faudrait m'aider. Non ! La maison nous appartient à toutes et tous et on aide la maison.
Chez moi, ce n'est pas une bataille des genres. Tout ce que je fais, mon mari peut le faire et inversement. Je pense que j'ai eu la bonne éducation malgré moi : je n'ai pas été éduquée par un papa, c'était très girl power à la maison, ma grand-mère a été veuve à l'âge de 30 ans. Donc ma mère, ses soeurs, personne n'a été éduqué avec un homme à la maison. C'est les femmes qui ont le pouvoir dans cette famille, c'est un truc de fou ! Est-ce que c'est mieux ? Je ne sais pas. Je crois que l'équilibre, il est aussi dans le vivre ensemble.
A.B.: Mes filles voient papa qui va au travail et maman qui va au travail. Et elles me voient sous l'évier en train de déboucher un siphon et leur père qui bricole aussi de son côté. Voir leur papa et leur maman qui sont capables de faire les mêmes choses à la maison comme à l'extérieur de la maison, c'est déjà pour moi une belle évolution.
J'ai plein de copines de mon âge qui ont une trentaine d'années et qui ont vu leur mère à la maison et leur père dehors. C'est aussi comme ça qu'on fait évoluer les mentalités. Se dire que papa est capable de gérer la maison et d'aller au travail et maman qui va au travail et gère aussi la maison. Il n'y a pas de trucs qu'on impose à la femme et des trucs qu'on impose à l'homme. Tout le monde fait.
A.B.: Bien sûr ! Etre une féministe française, ce n'est pas la même chose que d'être une féministe iranienne... Ça dépend des pays, ça dépend des enjeux. Il y a des pays où être féministe, c'est risquer la peine de mort. L'acte en soi n'est pas le même et on n'est pas féministe de la même manière. Il y a des femmes qui se battent parce qu'elles veulent avoir le droit de passer leur permis de conduire ou d'aller à l'école. Et il y a des pays, comme en France, où l'on se bat pour avoir les mêmes salaires que les hommes. La bataille est la même sauf que selon les endroits dans le monde, on n'en est pas au même stade du combat.
Moi, perso, j'aime bien ma façon de vivre mon féminisme. C'est mon comportement qui fait évoluer autour de moi. On ne peut pas imposer un comportement aux gens si déjà, tu ne changes pas la vision que tu as de toi-même et ta façon de faire. Il faut pendre sa vie en main et aller au front direct. Il faut faire ! Il y a plein de femmes aujourd'hui qui sont les patronnes de 40 mecs. Et elles le sont parce que ce sont des patronnes. Il faut sortir de ce truc de victime et y aller. Même si sur le papier, tu te dis que tu ne vas pas t'en sortir avec toute cette testostérone, il ne faut pas hésiter !
Amel Bent, album Demain, dispo depuis le 17 mai 2019