On dit que les histoires d'amour finissent mal, en général. Mais parfois, les histoires d'amitié aussi.
Il y a celles qui s'étiolent naturellement, au fil du temps. En grandissant, en déménageant, en s'éloignant physiquement avant de prendre ses distances tout court. Et les autres, auxquelles on met un terme volontairement après une trahison, un désaccord, un déséquilibre qui nous mine.
Quand on rompt avec un·e ami·e, on dit adieu à une complicité qui nous a porté·e, à des souvenirs qui remontent loin. On tire un trait sur une épaule solide sur laquelle on a pleuré de rire ou de tristesse sans retenue.
On se sent aussi très seul·e, et on ne sait pas vraiment vers qui se tourner.
Car dans le cas d'un·e séparation de couple, souvent, on se réfugie chez nos ami·e·s pour décortiquer les dernières paroles de l'autre, dénicher une once d'espoir de retrouvailles futures, engloutir son poids en Haagen Dazs en regardant un Love Actually qu'on a du mal à trouver réconfortant. Mais si ce sont nos ami·e·s qui nous quittent, où va-t-on ? Que fait-on avec notre petit coeur meurtri qui ne demande qu'à être soigné à grand coup de comédies romantiques discutables et de bon vin ?
Les ruptures amicales blessent terriblement. Et marquent longtemps. Comme les ruptures amoureuses, on se retrouve avec un vide difficile à combler. Sauf que dans ce cas précis, on a souvent moins de techniques pour remonter la pente. Du coup, on morfle.
Pour en savoir plus sur ce qui se cache derrière cette douleur particulière, on a interrogé des femmes qui l'ont vécue, et discuté avec un expert. Bonne nouvelle d'abord : on s'en remet.
"L'amitié est toujours passionnelle, c'est lié à l'intime", nous explique Pascal Anger, psychothérapeute à Paris. "On confie à l'autre des choses personnelles qu'on n'aurait pas forcément dit à son conjoint ou à sa conjointe. Rompre avec un·e ami·e va donc casser quelque chose de très fort en nous, nous blesser au plus profond de nous-même".
C'est ce qui est arrivé à Louise, 29 ans. Au collège, elle avait une copine avec qui elle passait tout son temps. "C'était très fusionnel", nous dit-elle. "C'est une personne avec qui j'avais une relation très privilégiée, de qui j'étais très proche." Au lycée, elles s'inscrivent dans deux établissements différents. Son amie crée d'autres liens, elles se contactent de moins en moins. La distance s'installe, et la fin se profile.
"Notre amitié était trop exclusive pour que la rupture soit saine", estime Louise. "On est passées d'un extrême à l'autre. On a fini par se disputer beaucoup". Quand ça se termine, elle ressent un vrai sentiment de rupture : "Il y a quelque chose qui est présent dans l'amour mais encore plus en amitié, c'est la confiance absolue", poursuit la jeune femme. "Et puis en amour, on sait que la relation peut être vouée à se compliquer. En amitié, on ne se sent pas menacée. C'est ce qui rend l'expérience plus douloureuse : on ne s'y attend pas du tout."
Pascal Anger aborde cette notion d'amitié éternelle, une utopie que le spécialiste associe particulièrement à cette période au sortir de l'enfance. Quand on croit dur comme fer que rien ne peut nous séparer. Quand on ne sait pas encore que la vie se passe rarement comme prévu.
"Il y a des âges où l'amitié est très forte, comme à l'adolescence par exemple", commente-t-il lorsqu'on lui rapporte l'histoire de Louise. "Quand on est ado, on a besoin d'avoir un double qui va nous permettre de se construire. On veut trouver sa singularité et en même temps ressembler à l'autre. On va donc être en osmose avec cette personne, cet·te ami·e. Et puis d'un coup, on grandit. Un grain de sable s'immisce et quelque chose se casse". La relation qui semblait idyllique se fissure, et nos émotions s'emballent. Difficile à gérer.
Plus tard dans la vie, la situation - même moins naïve - peut s'avérer tout aussi délicate. Car l'amitié donne un cadre, participe à la construction de notre identité. Perdre cet·te autre peut revenir à se perdre un peu soi-même. "Ce sont des repères très forts qui nous structurent", assure le psychothérapeute. "Il n'y a pas d'enjeux de séduction, on se livre donc entièrement." Quand l'autre met fin à l'histoire, on l'analyse comme un rejet de notre personne. "Et c'est ça qui est très difficile".
Lisa, 22 ans, évoque, elle, un sentiment "d'abandon et d'impuissance". Et une nostalgie qui persiste, quelques années encore après la séparation d'avec une camarade de lycée. Que l'on quitte ou que l'on soit quittée d'ailleurs, ces souvenirs d'une époque heureuse peuvent se manifester d'un côté comme de l'autre. Et réveiller une réelle blessure.
Mégane, 31 ans, s'est éloignée d'une amie peu loyale il y a deux ans. "Je me suis rendu compte que ça la rassurait de me savoir moins heureuse qu'elle", livre la jeune femme. "Et pour moi, l'amitié c'est pousser l'autre à être la meilleure version de lui-même. C'est fondamental." Elle coupe les ponts, déçue, et nous confie que si elle ne regrette pas sa décision, elle en a quand même subi quelques conséquences. "L'absence s'installe, reste un sentiment de solitude et de tristesse aussi. L'autre fait partie de nos habitudes, on l'a constamment dans un coin de la tête et elle revient de façon inopinée. Ça peut faire mal".
Pascal Anger conseille de "faire le deuil, comme en amour". Et surtout, de communiquer. Un réflexe que regrette Lisa, qui aurait aimé que son ancienne amie lui parle davantage de ce qu'elle ressentait, même si sa présence ne lui manque pas.
Pour Mégane, les relations de couple et les amitiés ont un autre point commun : leur durée peut être limitée pour une bonne raison. "Certaines relations amicales, comme amoureuses, doivent exister pour que tu puisses te construire, mais pas pour la vie", affirme-t-elle. "A un moment, elles ne correspondent plus à ce que tu es, ni à ce que tu veux être, et il faut savoir s'en détacher".
"C'est important d'accepter que l'amitié est finie, ça peut nous faire grandir de se séparer d'un·e ami·e", ajoute le psychothérapeute. "Parfois aussi, la rupture est nécessaire quand la relation est malsaine, que la personne n'arrête pas de vous dénigrer, que vous vous sentez sous emprise, qu'il y a du désintérêt ou que votre ami·e trouve des excuses pour ne plus vous voir. C'est important de faire attention à la sensibilité de l'autre, mais il faut aussi savoir parler, lui dire qu'il nous a blessé·e. Tout n'est pas excusable au nom de l'amitié."
Et puis, il y a des conclusions heureuses. Des copines qui finissent par se retrouver, plus tard. Comme Adeline, 41 ans, qui nous raconte être retombée sur Laure, qu'elle connaissait à 20 ans avant qu'elles ne se "séparent" pour une histoire de garçon. "On a beaucoup discuté et notre amitié est repartie. Notre relation est moins fusionnelle qu'avant, mais beaucoup plus saine", se réjouit-elle.
"Il y a toujours du possible", conclut Pascal Anger. "A partir du moment où l'on est capable de pardonner, on peut retisser un lien. On peut aussi avoir fait des erreurs, personne n'est parfait. Et renouer à 30 ou 40 ans car le temps aura passé et que l'on se retrouve sur des points communs." Mais l'expert prévient : "il faut que la relation soit équilibrée, que l'abcès soit crevé. Sinon, c'est de nouveau source de difficultés".