En Arabie Saoudite, une femme ne devient jamais majeure : jusqu'à sa mort, elle est soumise à l'autorité d'un homme, sue ce soit son mari, son père, son frère ou même son fils. Dans ce pays du Golfe ultraconservateur qui applique très strictement la loi islamique, les Saoudiennes ne peuvent voyager, travailler, se faire soigner, ou se doter d'une carte d'identité ou une carte bancaire sans l'autorisation écrite de leurs tuteurs.
Mais il reste encore à ces femmes que l'on traite comme d'éternelles mineures leur liberté de penser, et elles ont décidé d'en faire usage pour protester contre ce système archaïque qui les prive de leurs droits les plus fondamentaux.
10 millions de femmes sont maintenues dans un état de dépendance total vis-à-vis des hommes : les activités les plus élémentaires, comme conduire (l'Arabie Saoudite est le seul pays où cela soit interdit aux femmes), travailler ou se déplacer sont rigoureusement impossibles à accomplir pour une femme si elle n'a pas l'accord de son référent. Une femme ne peut même pas sortir de prison sans l'accord de son tuteur, rapporte une activiste sur Twitter : si ce dernier ne veut pas venir la chercher et refuse de l'héberger, elle devra rester en détention.
C'est dire à quel point ce système est dramatique pour les Saoudiennes : il les infantilise et permet de régir le moindre aspect de leurs vies, atrophiant toutes leurs libertés. L'alarmant rapport de l'association Human Rights Watch dénonce avec amertume ces dangers : "Le système de tutelle masculine en Arabie saoudite reste l'entrave la plus importante aux droits des femmes dans le pays, malgré les réformes limitées de la dernière décennie", a prévenu l'organisation de défense des droits de l'homme. Non seulement les femmes n'ont aucune autonomie ni liberté de choix, mais en plus, elles sont particulièrement vulnérables face à des situations d'abus sexuels, d'incestes, de violences conjugales, d'enfermement forcé... Le système de tutelle masculine les laisse poings et pieds liés, réduites au silence, à la merci de leurs tuteurs. Et c'est pour en finir avec cette situation que les Saoudiens montent au créneau... sur Internet.
Des activistes avaient déjà lancé il y a plusieurs mois une campagne pour l'abolition des tutelles masculines sur Twitter, sous un hashtag en arabe. Mais le mouvement a pris une ampleur inattendue –et bienvenue- après la publication du rapport de Human Rights Watch et le lancement des hashtags #TogetherToEndMaleGuardianship, #StopEnslavingSaudiWomen et #IAmMyOwnGuardian . Face au soutien que les Saoudiens ont témoigné à sa cause, l'universitaire Aziza Youssef , militante active pour les droits de la femme dans son pays, a lancé une pétition adressée au président Salmane, au pouvoir depuis un an et demi.
Son objectif est simple : abolir la tutelle pour que les femmes du royaume soient traitées comme "des citoyens à part entière" et que soit fixé "un âge pour la majorité des femmes à partir duquel elles sont adultes et responsables de leurs propres actes", relate Le Courrier International.
La pétition, qui sera transmise par email au président, a déjà atteint 14 7000 signatures : un véritable signe d'espoir pour les Saoudiennes qui tentent de briser le joug de la domination masculine pour enfin parvenir à s'émanciper.
Et cette émancipation passerait en premier lieu par le travail : en effet, seules 23% des Saoudiennes travaillent, et le taux de chômage parmi elles a encore monté l'année dernière en passant à 33,8%, d'après des statistiques citées par la firme Jadwa Investment. Et ce phénomène, évidemment dû en grande partie à la tutelle masculine, pèse très lourdement sur l'économie du pays : privé de presque la moitié de sa population active, il peine à sortir la tête de l'eau.
Et cela peut jouer en la faveur des femmes. En avril 2016, le vice-prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a annoncé la mise en place d'un plan économique ambitieux, "Vision 2030" , dont l'objectif est de diversifier l'économie pour réduire la dépendance du pétrole. Et en vertu du Programme de Transformation nationale qui fixe des objectifs pour la mise en oeuvre de "Vision 2030", la part des femmes sur le marché de l'emploi devrait passer de 23% à 28% en 2020.
Or, "Cela ne peut pas se faire avec la moitié de la population paralysée", se réjouit Mme Youssef dans Courrier International. Elle espère que cela fera pencher la balance en leur faveur et pèsera peut-être sur la décision finale de Salmane. " Assez d'humiliation (...) Je veux ma liberté ! " s'écrie en attendant une Saoudienne sur Twitter. Et son cri, qui est celui des dix millions de femmes dépossédées de leurs libertés les plus fondamentales et prisonnières de la domination masculine, exprime parfaitement l'urgence de la situation.