Samuel Paty avait 47 ans, il était professeur d'Histoire-géographie au collège du Bois d'Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine (78). Un enseignant apprécié de ses collègues, mais aussi de ses élèves : il était l'un de leurs profs "chouchous", témoignent plusieurs ados auprès des journalistes de Libération.
Vendredi 16 octobre, vers 17 heures, il a été décapité à quelques rues de son lieu de travail, par un terroriste tchétchène de 18 ans, abattu ensuite par la police. Un drame terrible engendré notamment par un cyber-engrenage redoutable, visant le cours du prof sur la liberté d'expression, daté du 5 octobre, durant lequel il a montré des caricatures du prophète Mohammed de Charlie Hebdo.
En France ce week-end, les hommages se sont multipliés. Devant le collège, sur la place de la République à Paris, dans plusieurs villes de province, mais aussi à une échelle gouvernementale, avec le discours d'Emmanuel Macron qui a juré : "Ils ne passeront pas", une référence au slogan des républicains espagnols de 1936 contre les fascistes de Franco.
Les chaînes de télévision ont relayé l'information, les analyses de spécialistes et les paroles émues des manifestant·e·s. Des mots qui ont touché les adultes et forcément aussi, les enfants. Sans toujours comprendre ce qui se passait exactement - particulièrement les plus petit·e·s - ils·elles ont ressenti la tristesse et le désarroi de leurs parents. Chez les ados, l'accès à l'information en ligne a pu heurter.
Afin d'adresser leurs craintes probables et ne pas les laisser être envahi·e·s par la peur ou la colère, des psychologues cliniciennes et pédopsychiatres donnent des clés précieuses.
"Il me semble que quand on se retrouve face à une scène d'une extrême brutalité et d'une extrême violence comme celle-ci, la seule possibilité de faire face est de remettre des mots", assure Pauline Puyenchet, psychologue clinicienne, au micro de France Culture, dimanche 18 octobre. Parler afin de "permettre une mise à distance de cette brutalité crue, qui fait effraction dans notre réalité."
Invitée sur le plateau du 13 heures de France 2 la veille, la psychologue clinicienne et psychothérapeute Marie-Estelle Dupont recommande elle aussi la parole, mais d'abord de différencier son approche selon l'âge de l'enfant. "Jusqu'à six ans, essayer au maximum que l'enfant ne soit pas en contact avec cette réalité puisqu'elle n'est pas gérable psychiquement", prévient-elle. Entre 6 et 12 ans, "attendez de voir ce que l'enfant amène", en fonction des informations qu'il a reçues. "Partez de ce qu'il a entendu pour restaurer la réalité, et répondez à ses questions à lui pour ne pas induire une angoisse qu'il n'a pas".
Dernière tranche : les adolescent·e·s. Avec eux et elles, "on en parle, parce que c'est le monde dans lequel ils vont vivre demain", lance la spécialiste. Elle ajoute par ailleurs qu'avec les réseaux sociaux, "ils ne peuvent pas ne pas savoir, donc on anticipe et on met des mots pour éviter que la panique dégénère."
Marie-Estelle Dupont intime également au parent le moins submergé par l'émotion d'être celui ou celle qui prendra la parole, car "l'enfant va plus s'identifier à votre état qu'à vos mots", précise l'experte. Elle martèle également et donne des exemples concrets à utiliser avec les ados : "Il faut les aider à penser (...) et ouvrir le débat : que penses-tu du travail d'enseignant, des attentats, voilà ce que fait la justice, voilà ce que fait la police, oui le système n'est pas infaillible... A partir du moment où l'on peut penser, on n'est plus sous l'effet du traumatisme et on n'est plus dans un sentiment d'impuissance. Si l'adolescent peut donner ses idées, il peut surmonter son angoisse".
Interrogé par Terrafemina au lendemain de l'attentat de Nice, qui avait fait 87 morts et 458 blessés le 14 juillet 2016, le pédopsychiatre Rafi Korajan avisait lui aussi fortement d'être dans le dialogue. "Il faut aborder le sujet avec eux avant que d'autres ne s'en chargent", lâchait-il.
Pour ce qui est de l'âge, il estimait que "tout dépend de la maturité de l'enfant. Certains, à partir de 3-4 ans, sont très branchés au monde des adultes, ont des antennes partout, sont très réceptifs. Avec ceux-là aussi, il faut ouvrir le dialogue".
Il avertissait toutefois contre les maladresses : "Il ne faut surtout pas leur dire 'n'aie pas peur'. Il faut leur dire que c'est normal pour ne pas fermer l'échange. Après, les rassurer, évidemment, leur dire qu'on est là pour les protéger, qu'ils ne sont pas tout seuls." Sur le même sujet, décliné du côté des adultes, il insistait également : "Surtout, il ne faut jamais parler de sa peur à un autre devant les enfants en pensant que ça n'a pas d'importance, ou qu'il n'écoute pas. C'est primordial."
En conclusion, Pauline Puyenchet résume : "Dans un premier temps les écouter, dans un deuxième temps leur proposer des mots pour pouvoir mettre à distance leurs émotions, dans un troisième temps leur permettre de se rassurer, de se réaffirmer et de les accompagner à se sentir toujours légitime dans ce positionnement".
Une conversation difficile, parfois douloureuse, mais toujours nécessaire pour aider les plus jeunes à digérer une information d'une violence insoutenable.