Nous sommes en février 2006. Ce matin-là, comme tous les mercredi, la joyeuse équipe de trublions de Charlie Hebdo se réunit pour sa conférence de rédaction. Sauf que ce jour-là, la conférence de presse sera historique. En effet, Charlie s'apprête à publier les caricatures de Mahomet du journal danois Jyllands-Posten. Une décision majeure qui va faire basculer le destin du plus célèbre journal satirique de France. Les réalisateurs Jérôme Lambert et Philippe Picard ont eu la chance de capturer ce moment-clé.
Comme d'habitude, l'ambiance est bon enfant. Mais on sent déjà que les membres de Charlie mesurent l'importance de l'instant. Philippe Val, alors directeur de la rédaction (il sera remplacé par Charb en 2009), déclare à propos des caricatures : « C'est un événement mondial provoqué par un dessin. » Des mots qui résonnent aujourd'hui comme une sinistre prémonition. Autour de la table, ça griffonne, ça papote, ça plaisante. Les dessinateurs sont à pied d'oeuvre pour imaginer la future couverture de ce numéro. « C'est notre boulot de leur rentrer dedans... », lancent-ils, tout en se réjouissant de la liberté d'expression dont jouit la France. « On a du pot, nous », se félicite Cabu, toujours à l'oeuvre. « Oui, on a du pot », réplique son copain Wolinski. « La France est un paradis ».
Mais chacun est conscient de l'enjeu : « C'est une bombe, la couverture d'aujourd'hui. Donc il faut que ça soit fort », lance Philippe Val. Et soudain, gros plan sur le crayon de Cabu. On le voit esquisser un Mahomet « qui a l'air gentil », exaspéré par les intégristes.
Face au projet de son camarade, le jeune dessinateur Luz (qui a échappé à la mort le jour de l'attentat parce qu'il ne s'était pas réveillé et avait 30 minutes de retard) acquiesce : « Nous, on est respectueux de votre foi. Il (Mahomet-Ndlr) est plus gentil que vous. C'est vous, les caricatures. » Et Philippe Val de conclure : « C'est dur d'être aimé par des cons ». Phrase-choc qui figurera sur le dessin de Cabu.
A l'unanimité, l'équipe choisira cette Une, symbole de sa lutte incessante contre le fanatisme religieux et l'obscurantisme. Cette couverture mordante et courageuse sera le point de départ du cataclysme dont Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Bernard Maris et Elsa Cayat ne se relèveront malheureusement jamais le 7 janvier 2015 à 11h30.