"Femme au volant, mort au tournant". Ce genre de petit proverbe "humoristique", qui étrangement, ne fait rire que ces messieurs, révèle l'ombre persistante du sexisme qui plane sur le domaine de l'automobile. Et si dans les pays occidentaux, les femmes passent aujourd'hui leur permis sans même plus y accorder d'attention, avoir le droit de conduire demeure un acte de protestation dans de nombreux pays, comme le montre le triste exemple de l'Arabie Saoudite, qui interdit aux femmes de toucher un volant pour mieux les contrôler.
C'est pourquoi la décision de l'association caritative Network for Women in Growth (NEWIG) d'aider les femmes à s'émanciper par le biais de la conduite est lourd de symboles. Petit retour sur une initiative engagée qui veut rendre leur liberté aux femmes du Ghana – et qui, au passage, nous rend le sourire.
La situation des femmes au Ghana est difficile à décrypter, car si le pays a fait preuve d'un modernisme admirable en adoptant de nombreuses lois pour protéger ces dernières, le poids des coutumes freine l'application de ces législations. Par exemple, comme le souligne le compte-rendu de l'association L'Afrique Pour le Droit des Femmes, en dépit de l'adoption du Children's Act de 1998, qui fixe l'âge légal du mariage à 18 ans, les mariages précoces persistent : environ 16% des femmes entre 15 et 19 ans sont actuellement mariées, divorcées ou veuves. Idem pour les mutilations génitales féminines : bien que le Ghana ait été le premier pays d'Afrique à avoir condamner l'excision, on estime toujours à 85% le nombre de jeunes filles qui subissent ces mutilations.
Cette vulnérabilité des femmes transparaît violemment dans le monde du travail : peu éduquées, elles n'ont accès qu'à des emplois informels et précaires, comme l'artisanat ou la couture, qui payent beaucoup moins que les emplois d'hommes. Dont elles sont, de fait, dépendantes financièrement. Un rapport des Nations Unies de 2015 sur les disparités des genres dans le monde du travail indique que les femmes au Ghana travaillent plus longtemps que les hommes, mais gagnent moins qu'eux : le revenu national brut par habitant au Ghana s'élève à 4.515 dollars par an pour un homme, contre 3.200 dollars pour une femme.
C'est pour cela que l'association NEWIG a lancé le "Young Women in Professional Driving Project" , qui a pour but d'aider les femmes à se libérer en apprenant un métier d'homme : être chauffeur. Et si en Europe, cela ne nous semble pas très glamour, au Ghana, c'est un aller simple vers la liberté.
Mawusi Awity, 54 ans, a fondé NEWIG en 2002 pour donner une chance aux femmes marginalisées de s'en sortir par le travail. Comme elle l'explique à News24, pour elle, leur liberté passe par leur emploi : une femme ne peut pas échapper à un mariage abusif si son travail est trop précaire et mal payée pour lui permettre de s'en sortir seule. C'est pour cela que la directrice a lancé le programme de conduite, un emploi traditionnellement masculin très bien rémunéré : elle souhaite leur offrir le luxe de pouvoir choisir.
Dans un uniforme gris foncé avec des motifs rose, les 15 candidates sélectionnées apprennent la mécanique et la conduite, et entre deux séries de pompes ou un cours de self-défense, elles s'entraînent aux gestes de premiers secours. La formation prévoit également des sessions de prévention aux violences domestiques, des conseils sur la contraception et des ateliers pour renforcer la confiance en soi. Le but est d'offrir aux femmes l'opportunité d'exercer un métier qualifié tout en leur apprenant à être libres et à se défendre seules. "Leurs peurs ont disparu", assure Mme Awity avec fierté à TV5 Monde. "Je les sens plus confiantes, plus affirmées".
A la fin du programme, ces Ghanéennes pourront devenir chauffeuses professionnelles, dans le tourisme, pour une organisation privée ou même comme taxi, à la manière d'Esenam Nyador, la "Miss Taxi" du Ghana, qui est un véritable modèle de liberté et de réussite pour toutes les femmes du pays. "J'ai toujours voulu conduire, mais j'avais en tête l'idée que la conduite était un métier réservé aux hommes. Ma chance est venue d'apprendre. [...] Maintenant je suis convaincue que ce que les hommes peuvent faire, les femmes le font encore mieux", confie Landzo-Wene Fiawomorm, 21 ans, originaire de Tefle, une région très pauvre où les femmes jouent les vendeuses ambulantes et sont particulièrement discriminées. Et en voyant les photos de ces femmes, pleines d'espoir et de courage, qui enchaînent les pompes et les slaloms dans la poussière rouge du camp militaire d'Accra, un sourire lumineux accroché aux lèvres, on ne peut qu'acquiescer.