Mais qui se soucie de Mireille au juste ?
Artiste incomprise, cette senior sortie de prison travaille dans une cafétéria. Solitaire, elle est hantée par ses souvenirs : ceux de son amant d'antan, un brillant poète espagnol. Mais sa vie de marginale va se voir bouleversée le jour où, au sein du château héritée de sa mère, aux abords de la Meuse, elle va accueillir trois locataires d'âges et d'horizons divers.
A découvrir en salles dès à présent, La fiancée du poète est l'histoire, émouvante et drôle, d'une renaissance : celle de Mireille, cette protagoniste décalée qui au fil des jours va redécouvrir l'amour, l'amitié, la tendresse et l'art. Un vaste programme en perspective.
Mais c'est aussi l'histoire d'un grand retour : celui de Yolande Moreau à la réalisation, dix ans après la sortie de sa dernière fiction en tant que cinéaste, Henri. Et plus encore, près de vingt ans après le triomphe de Quand la mer monte, couronné par le César du meilleur premier film.
Un come-back résolument gagnant s'il en est : l'actrice et cinéaste Belge y rappelle toute l'étendue de sa poésie, l'enrichissant cette fois ci d'un discours libérateur sur l'âge.
Libérateur, oui, car cette fiction rime avec "émancipation".
Il faut dire que non content d'être un portrait de famille délicieusement fantasque ("c'est comme une famille, en plus subversif", nous explique-t-on à propos du clan au coeur du film), ainsi qu'un conte de fées moderne prenant place, comme le souhaite cette tradition litérraire, dans un magnifique château surplombé d'un décor pastoral renvoyant aux fables animalières (un petit coin de paradis au sein duquel règne un cerf), La fiancée du poète est également une oeuvre joyeusement féministe.
On vous raconte pourquoi.
Comme l'indique son titre, le nouveau long-métrage de Yolande Moreau est une ode à la poésie et à la création. L'art y est perçu comme une profession de saltimbanque.
La preuve ? L'un des personnages principaux est spécialisé dans la contrefaçon de tableaux de maîtres. Et s'avère si doué qu'il parvient à égaler les génies du Louvre. Ses compères locataires mentent quant à eux sur leurs origines, leur identité, voire même, se travestissent. Comme pour travestir la réalité.
Mais aucune manipulation dans ces subterfuges variés. Pour Yolande Moreau, c'est là la force de l'art : détourner le réel pour mieux le sublimer, et en révéler la beauté cachée. D'une certaine manière, tout artiste est donc un saltimbanque. Si le regretté Jean-Luc Godard disait que "le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde", Yolande Moreau renverse volontiers cette assertion en magnifiant ces menteurs dépourvus de toute malveillance.
Une irrévérence malicieuse qui palpite dans cette comédie pleine de fantaisie et de caractère, citant tour à tour Steinbeck, Elvis Presley, Paul Valéry, ABBA, Jack London, mais également... Brigitte Lahaie !
Cependant, si l'humour de Yolande Moreau nous est familier depuis toujours, il n'en est pas forcément de même concernant sa discrète mélancolie. Un spleen intime, c'est vrai, mais aussi politique.
Car dans la peau de Mireille, l'actrice se met à nu. Libérant ses abondants cheveux blancs, elle assume tout : son âge et son apparence, ainsi que la clarté qui en émane. Ce faisant, l'artiste tacle en douceur les discours âgistes des machos en manque d'imagination.
L'âgisme, c'est cet ensemble de discriminations qui visent notamment les femmes une fois passé le cap des cinquante ans.
On invisible les quinquas, sexas, septuagénaires, on pointe du doigt leurs rides, leurs cheveux blancs et gris, on nie leurs désirs encore existants, on cherche à les mettre au ban de la société.
Tout cela, l'artiste y rétorque à travers une très belle séquence : Mireille se contente de poser, lumineuse, face à son locataire artiste peintre. Le message est clair : l'âge est un art.
Et le temps qui passe, loin des complexes et des injonctions sexistes largement banalisées par la publicité, peut tout à fait être source d'apaisement, d'amour de soi et de son corps. C'est une déclaration d'amour à soi-même, et aux femmes en général. Mireille, la soixantaine passée, est encore actrice de son désir, aimante, et a la grâce d'une égérie.
Vous l'aurez compris, La fiancée du poète n'est pas simplement un ovni burlesque, c'est également une oeuvre sororale d'une inattendue profondeur. Et cela fait beaucoup de bien.
La fiancée du poète, de Yolande Moreau
Avec Yolande Moreau, Sergi López, Gregory Gadebois, Esteban, Thomas Guy, Anne Benoît, William Sheller, François Morel, Aïssatou Diallo Sagna, Philippe Duquesne..
Sortie le 11 octobre