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L'interview girl power de Carla Bruni
Publié le 11 octobre 2017 à 17:14
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Carla Bruni est comme un chat : elle a eu tant de vies. De supermodel à chanteuse en passant par Première dame, elle glisse d'un destin à l'autre avec une agilité déconcertante, sans jamais tomber. La voici de retour à la musique avec un recueil des chansons qui ont bercé ses mille et une existences. Interview girl power avec une féministe (d)étonnante.
Interview girl power de Carla Bruni Interview girl power de Carla Bruni© Universal
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On aurait pu la croire hautaine, snob. On la découvre drôle, légère, terriblement accessible. En petit pull en coton tout simple, sans une once de maquillage, Carla Bruni est lovée dans un coin d'un restaurant huppé de la capitale, plein comme un oeuf. Elle se dit qu'elle boirait bien un mojito, mais "qu'il est bien trop tôt" dans un éclat de rire feutré. Cette même voix granuleuse qui chavire d'émotion lorsqu'elle évoque les fantômes de Versace ou de Simone Veil, deux figures qui ont marqué sa vie multi-dimensionnelle. Si c'est Carla la chanteuse qui nous fait face aujourd'hui pour présenter son album French Touch, ses autres vies la rattrapent au détour d'une anecdote piquante ou grave. Carla Bruni est une femme-somme de ses expériences, Carla est singulière.

Pourquoi avoir choisi de faire un album de reprises ?

En fait, ce n'était pas mon choix, c'était une idée de David Foster, le producteur de l'album. Je voulais absolument travailler avec lui donc j'étais très ouverte à ses idées. Il voulait que j'écrive en anglais mais je n'y arrivais pas donc on a décidé de faire des reprises, tout bêtement.

N'est-ce pas un peu frustrant ?

Non, parce que je continue d'écrire. C'est comme faire autre chose. Un truc de chanteuse en quelque sorte ! Je suis contente à 50 ans d'être enfin devenue une chanteuse. Ça fait 30 ans que j'essaie (rires). Mais c'est vrai que je n'aurais jamais imaginé chanter sans écrire. C'est donc un album un peu curieux, mais que j'aime tendrement parce que j'ai fait comme si je les avais écrites, ces chansons. Je les ai maquettées comme si je les avais écrites et je me prenais au jeu. "Tiens, aujourd'hui, j'ai écrit un petit truc, ça s'appelle 'Moon River'" (rires). Ce ne sont pas des standards par hasard. Je les ai mis à ma mesure.

Comment les avez-vous sélectionnées ?

Il y a bien une centaine de chansons que j'aime chanter depuis toujours. J'en avais maquettées 22, j'en ai enregistrées 17 au studio et il en reste 11. On regrette celles qu'on laisse sur la route. Mais bon, ce sont des standards, elles n'ont pas besoin de moi !

En quoi cet album vous raconte-t-il ?

Cela vient des souvenirs et c'est ça qui est personnel dans cet album. Quand est-ce que j'ai entendu ces chansons pour la première fois, les souvenirs d'essayer de les interpréter avec ma guitare très jeune, les souvenirs de les jouer aux autres avec parfois ces autres qui se mettent à les chanter avec vous. Et puis le souvenir de les avoir analysées, jouées, réécoutées... Au fond, toutes ces chansons sont inscrites en moi car sans toutes ces chansons, est-ce que j'aurais écrit les miennes ? Les musique de ces tubes, elles sont rentrées et sont restées figées dans mon coeur.

Votre chanson préférée de tous les temps figure-t-elle sur cet album ?


Moon River est sans doute l'une de mes chansons préférées de tous les temps. Après, le coup des 10 chansons que l'on peut emmener sur une île déserte, c'est dégueulasse ! Il vaut mieux choisir des chansons très longues... Je choisirais Melody Nelson par exemple, qui fait 6 minutes ou Smell Like Teen Spirit de Nirvana, qui fait 5 minutes 15.

Vous avez récemment défilé pour Versace avec d'autres anciens supermodels des années 90 et cette image est instantanément devenue iconique. Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ?

C'était très émouvant pour nous (Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford et Helena Christensen- Ndlr). J'ai accepté parce que j'aimais Gianni Versace, j'aime sa soeur Donatella, sa famille. J'aime ce qu'elle a fait, comment elle a tenu le coup après la mort de Gianni, comment elle a gardé son âme tout en faisant décoller la fusée. Gianni nous traitait comme des reines et traitait ses mannequins comme ses filles. Il nous dessinait comme des femmes fortes, radieuses, des "power women". Il n'aimait pas la femme effacée, la femme soumise. Pour lui, la femme, c'était quelqu'un qu'il fallait glorifier. Il nous habillait comme ça, il faisait de nous des femmes fatales. Les musiques, les lumières... Tout était fait pour nous embellir.

Gianni m'avait prise pour défiler immédiatement alors que je n'avais que deux photos dans mon book. Et je n'ai jamais oublié. Sur le moment, nous étions très très émues. Limite secouées. On tremblait un peu. Je ne sais pas où est Gianni, sûrement avec George Michael, ils doivent faire de la musique, des robes et des soirées ensemble. Et j'espère qu'il nous a vues. C'était notre jeunesse qui était là aussi. Tout est parti en fumée.

Le mannequinat a évolué vers l'ultra-minceur. N'est-ce pas dérangeant ?

La taille des mannequins a changé. Parfois, mon bras ne rentre pas dans les vêtements alors que je fais encore un 38 ! Et maintenant, ils ont fait une charte contre cette maigreur. Mais cela dit, on ne devient pas mannequin si l'on est pas mince naturellement. On peut être magnifique si on est potelée, ce n'est pas la minceur qui fait la beauté, mais c'est la minceur qui fait le mannequin. La nouvelle génération est plus grande que nous, elles sont plus jeunes que nous. Ce qui est important, c'est de faire des castings où les mannequins ne sont pas des enfants. L'excessive minceur ne m'intéresse pas en tant que femme, ni en tant que cliente. Tout comme lorsque j'achète une crème, à 49 ans, je préfère voir Julia Roberts qui vend cette crème. Je m'identifie plus à elle qu'à une jeune fille de 16 ans qui n'a pas une ride.

Vous considérez-vous comme féministe ?

Oui, féministe dans le fond, féminine dans la forme. J'ai bénéficié de tout le travail qu'ont fait les féministes radicales, la nouvelle génération aussi. Tous les mouvements féministes m'intéressent et m'interpellent. Je ne suis pas une activiste, mais je suis féministe et ma vie le prouve : je n'ai jamais dépendu de personne à part de mon père jusqu'à 18 ans, quand j'ai commencé à travailler. Maintenant, je dépends de mon homme, mais ce n'est pas par le travail : je dépends de lui parce qu'il me manque et parce que je l'aime. Mais s'il m'embête, je peux partir à tout moment ! C'est ça aussi le féminisme, c'est l'indépendance, l'équivalence, c'est l'équité. Quand je vois la vie de femmes comme Colette par exemple, je me dis que le féminisme a commencé il y a bien longtemps.

Quel est votre dernier moment "badass" ?

Dès que j'ai bu un peu ! (rires) C'est pour cela que j'évite de boire... Je ne dis pas que j'irais jusqu'à la bagarre, mais cela me fait remonter une chaleur dans le corps, un truc "yang" que j'ai assez peu par nature. La parole et la polémique me donnent aussi un sentiment de "badass". J'aime beaucoup les discussions, essayer de convaincre.

Les trois femmes qui vous ont le plus inspirée dans votre vie ?

Ah la la, il y en a 300 ! C'est difficile... Je dirais mon amie Marianne Faithfull. Je l'adore, c'est un phénix qui ressurgit de ses cendres. Elle a même changé de voix : elle avait une voix de soprano, elle a maintenant une voix qui vous rentre dans le sang tellement elle est rocailleuse et troublante. Elle a été subliment belle, elle est toujours splendide.

J'adore aussi Patti Smith dans le même genre : j'aime comment elle écrit, j'aime ses livres qui m'emportent ailleurs, j'aime ses lectures, comment elle lit Rimbaud, comment elle lit Verlaine... Et j'aime ses chansons et ses concerts. Et puis le fait qu'elle ait acheté la petite maison de Rimbaud à Charleville-Mézières...

Et puis j'adore Simone Veil. J'adorais cette femme lorsqu'elle s'est mise à pleurer, son élégance, ce qu'elle a fait pour nous les femmes, dans un gouvernement de droite. Elle était épatante. J'ai adoré la rencontrer. Nous avions fait un voyage d'état en Israël avec elle. J'ai été très émue d'être à côté d'elle au Mémorial des enfants. L'une de ses meilleures amies est l'une de mes amies aussi, Marceline Loridan. Elles étaient dans le même camp ensemble (Auschwitz- ndlr), au même âge, elles sont toutes les deux revenues. Marceline dit : "Simone est revenue parce qu'elle était si belle et moi, parce que j'étais toute petite". Elles ont survécu à tout. Simone Veil a aussi survécu à la mort de l'un de ses enfants... (silence) J'espère que la vie ne me réservera pas autant de tragédies, mais j'admire sa vie, sa beauté, sa force, son intelligence et tout ce qu'elle a fait pour nous.

Carla Bruni et Marianne Faithfull ensemble sur la scène de L'Olympia le 11 mars 2014 © Getty Images
La femme qui vous a le plus épatée depuis le début de l'année ?

J'ai été épatée par Hillary Clinton, même si elle a perdu l'élection. J'ai vu ce que c'était, ces campagnes électorales. J'ai vu ça de près et c'est dur en soi, que cela soit un échec ou une victoire. Pour une femme, même soutenue par sa famille comme elle l'a été, même soutenue par son pays, ça a du être bonbon. J'ai lu dans son livre dans lequel elle parle de la campagne qu'après la défaite, elle avait bu beaucoup de Chardonnay. Je la comprends ! Ça n'est pas simple pour un homme et je crois, sans être sexiste, que c'est encore plus dur pour une femme car la politique est encore malheureusement un milieu d'hommes.

L'héroïne de série dont vous êtes fan ?

Je suis très fan de Mme Underwood dans House of Cards. J'ai vu Robin Wright au défilé Valentino récemment et mon homme l'a vue au foot quelques jours auparavant. Il est allé dare-dare à sa tribune pour lui dire : "Bonjour madame Underwood !". Je suis très fan d'elle, pas seulement parce que Robin Wright est une grande actrice : je suis fan de la metteuse en scène parce qu'elle réalise deux tiers de cette série qui est fabuleuse.

L'héroïne de roman que vous admirez ?

Catherine de Russie.

L'héroïne de fiction que vous adoriez enfant ?

En Italie, nous avions une merveilleuse bande-dessinée qui s'appelait Diabolik. C'était un espion, sa femme s'appelait Eva Kant et elle était magnifique. Elle avait un chignon, un visage extraordinairement beau. J'adorais cette femme-là.

La BD italienne Diabolik
Le truc qui vous révolte aujourd'hui en tant que femme ?

Tout ce que subissent les femmes. La soumission, le viol, l'abandon, l'instrumentalisation, la manipulation... Il y a encore de la route à faire.

L'avancée en matière de droits des femmes que vous attendez le plus ?

Qu'il ait moins de décalage entre tous les pays du monde. Qu'il ait moins de décalage entre nous et les femmes indiennes, les femmes arabes, les femmes suédoises, les femmes russes. Que l'on puisse toutes bénéficier d'une certaine équité. Je pense que l'égalité, c'est un beau rêve, mais je pense que l'équité, c'est possible.

Quelle est la cause qui vous tient particulièrement à coeur ?

J'ai été très impliquée dans la lutte contre le Sida pendant des années et cela me tient toujours très à coeur. Ce n'est plus une pandémie aussi dévorante, mais les gens pensent que les médicaments vont tout régler alors que les médicaments sont indigestes et que prendre des médicaments à vie, c'est dur... Je le dis aux jeunes : ne rigolez pas avec ça. On a un peu rétropédalé depuis les années 80-90 parce que l'on pense qu'on ne meure plus du Sida, ce qui est faux. Et autant éviter d'attraper une maladie qui va hanter vos cellules, vous menace toute la vie. La protection reste fondamentale et cette cause me semble importante. Sinon, je participe au plus de causes possibles lorsqu'on me le propose.

Quel est selon vous le plus grand super-pouvoir des femmes ?

La douceur, la grâce et je pense que nous pouvons apporter de la force et de la paix.

La chanson que vous écoutez pour vous rebooster ?

J'adore Cindy Lauper : Girls Just Wanna Have Fun.

Avez-vous un mantra préféré ?

C'est une chanson de John Lennon : "Love is the answer".




Carla Bruni, album French Touch

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