Ce jeudi 1er juillet, le congé paternité passera de 14 à 28 jours fractionnables, dont 7 obligatoires. Précisément, il sera désormais découpé ainsi : 4 jours à prendre dans la foulée de l'arrivée du bébé, 21 jours supplémentaires qui peuvent être divisés et pris en deux fois, et enfin, le congé de naissance de 3 jours.
Une avancée notable qui permettra aux pères, ou à la personne qui partage la vie de la mère, de mieux accueillir le nouveau-né. Au coeur de cette décision symbolique plus que révolutionnaire, un souci de réduire les inégalités hommes-femmes. Celles qui sévissent au sein du foyer, dans le partage des tâches, ou au bureau, dans les biais sexistes à l'embauche. Et puis, de renforcer le lien d'attachement entre le nourrisson et le second parent, indispensable à son bien-être.
Doubler pour rééquilibrer, donc. A en croire les sondages, les premiers concernés seraient globalement ravis. 85 %, exactement, affirmaient en 2018 qu'il était temps. D'autres, en revanche, craignent que ce droit dont ils aimeraient jouir pleinement n'incarne qu'une douce utopie face aux pressions de leurs employeurs qui les poussent à ne pas s'arrêter, lit-on dans le JDD.
On a demandé à deux papas, investis et engagés, de nous expliquer en quoi cette mesure participera concrètement à faire bouger les lignes rigides du patriarcat dans toutes les strates de la société. Et surtout, de répondre à la question qui fâche : 28 jours, est-ce vraiment suffisant ?
Alexandre Marcel est père d'une petite fille de 2 ans et demi. Il est également l'auteur de Je ne m'attendais pas à ça ! (ed. Larousse), un ouvrage qui "raconte la vie, la vraie" d'un papa. En ligne, il est plus connu sous le nom de Papa Plume. Chaque jour, le jeune père partage avec sa communauté les merveilles et les déboires de son quotidien. Mais aussi, aborde des sujets plus tabous, plus durs, voire, plus politiques. Fausse couche, droit de craquer, silence pesant sur le premier trimestre... Des thématiques dont il s'empare d'un point de vue paternel pour encourager ses semblables à faire autant.
En 2019, c'est l'un de ses textes, devenu viral, qui a créé une vive émotion au sein de nombreuses familles et participé à lancer la discussion autour de l'allongement du congé paternité. Sa Lettre d'un papa aux gens qui font les lois, adressée au gouvernement. Dedans, il décrit son ressenti le matin de son retour au boulot, dans le RER, onze jours après que sa femme ait accouché. "Je me demandais ce que je faisais là, dans cet hiver matinal et triste, alors que ma fille d'à peine deux semaines avait besoin de moi, et que ma femme épuisée par l'accouchement avait aussi besoin de moi. Ma famille avait besoin de moi, et pourtant je n'étais pas avec elle", signe-t-il.
"Mon engagement est venu de ce ressenti personnel", nous confie-t-il par téléphone. "De me dire 'qu'est-ce que tu fais', que ma place n'était pas au bureau mais auprès de ma femme et de ma fille à m'occuper d'elles. J'avais la sensation de les abandonner, de louper des trucs essentiels et de laisser ma femme toute seule."
Aujourd'hui, à l'aube de ce changement majeur, Alexandre Marcel nous énonce les raisons qui font de ce combat une priorité. "L'allongement du congé paternité est extrêmement important à la fois pour le père, la mère et le bébé", affirme-t-il. "Pour le père qui a besoin de temps pour enfiler son costume de papa, justement, et faire connaissance avec son bébé. C'est un nouveau petit être, on peut pas le connaître en un claquement de doigts. C'est important pour le bébé, pour la qualité de son lien d'attachement avec son papa, qui est liée à la qualité de son éveil. Et pour la maman, car ce n'est pas à elle de tout assumer."
Il poursuit, étayant son discours de données édifiantes. "Les chiffres sont criants : 70 % des taches domestiques et familiales sont encore prises en charge par les femmes, 1 jeune mère sur 2 modifie son activité professionnelle après son premier enfant contre 1 père sur 9 seulement, beaucoup de mamans sont en souffrance après l'accouchement". Seulement, il reconnaît aussi que "ce n'est pas uniquement en mettant des chiffres sous les yeux [des pères] que cela changera. Il faut y aller, prendre son congé, mettre les mains dans les couches".
Et de marteler : "Plus les pères seront présents à la naissance, plus on servira l'égalité femmes-hommes dans la société."
La façon dont ce changement dans le cercle privé impacte le monde extérieur, Marc, père de deux enfants de 5 et 8 ans, l'a parfaitement analysée. Pour son premier fils, c'est lui qui a arrêté de travailler complètement afin de s'en occuper. A l'époque, son travail "ne se passait pas bien" et il a décidé de décrocher. Pendant un an, dont six mois non-stop puis en disposant de trois après-midis en halte-garderie par semaine, il a été père au foyer. Un cas de figure assez rare, comme l'ont démontré ses sorties quotidiennes.
"J'allais au parc deux fois par jour et à chaque fois, j'étais le seul père, entouré de nounous. J'étais un peu un extra-terrestre", plaisante-t-il. Quelques années plus tard est arrivé le deuxième bébé. "A ce moment-là, j'avais recommencé à travailler. Alors je me suis débrouillé avec des RTT, des congés payés. J'ai optimisé comme j'ai pu et j'ai réussi à avoir trois semaines d'affilée. Mais c'est rien ! Tu sors seulement du sas de décompression." Il commente : "C'est génial que la durée du congé paternité soit rallongée, les pères vont pouvoir en profiter. Et puis, c'est indispensable : la mère est trop fatiguée de la naissance".
A ceux qui se cacheraient derrière l'instinct maternel pour justifier leur manque d'expérience et leur ignorance (instinct que la biologiste Catherine Dulac a prouvé être parental, et non pas exclusif à la maman), Marc rappelle à juste titre qu'il n'y a rien d'inné. "La femme apprend, comme l'homme. Si certaines mères ont l'air de savoir davantage, c'est sûrement parce qu'on leur inculque dès l'enfance à faire attention aux autres. Qu'elles ont vu leur mère faire avant elles. C'est seulement une question d'observation."
Et d'insister : "Les hommes prennent très vite le pli de se reposer sur leur compagne, comme si elle savait forcément mieux. Même là, c'est déjà un déséquilibre. Alors qu'on apprend tous les deux, et c'est tout". En leur refusant un congé égal à celui leur compagne, on creuse ces inégalités. Et on "les dépossède" également d'une expérience et d'un lien extrêmement riche, estime-t-il. Rôle que nombre de pères aimeraient sans aucun doute prendre à bras le corps, et qui permettrait aux femmes de s'éloigner d'une culpabilité nocive, nourrie par le sentiment d'être la seule à devoir gérer.
Pour les autres, ceux qui tenteraient de se dédouaner de la responsabilité qu'incarne la paternité impliquée, il qualifie simplement leur attitude de "puéril".
"Si on a un troisième enfant, c'est moi qui m'arrêterais de nouveau, même si aujourd'hui, c'est moi qui fait carrière", lâche par ailleurs notre interlocuteur. "D'une part parce que quand ta carrière est bien lancée, c'est plus facile de retrouver du travail, et ensuite, car cela reste moins impactant lorsqu'on est un homme. Ce n'est pas vu comme péjoratif, contrairement à une femme." Il épingle d'ailleurs cette différence de perception de l'investissement parental. "Une femme qui prend un congé maternité, c'est vu comme quelque chose de normal. Un homme, c'est exceptionnel" - dans le sens incroyable et exemplaire.
Un constat qui n'existe toutefois pas dans toutes les entreprises. "Il peut y avoir de l'autocensure de la part du salarié", détaille au JDD Patrice Bonfy, co-fondateur de Remixt, un cabinet spécialisé dans la diversité et l'inclusion, et de la revue Le Paternel. "Mais aussi des pressions de l'employeur qui encourage à ne pas prendre ce congé." C'est en partie ce qui explique que seuls 70 % des pères y ont recours dans le secteur privé, avance le journal. Et que 9 % d'entre eux renoncent même aux 3 jours offerts.
Pourtant, "c'est un bouleversement qui mérite d'être vécu à 100 % par les salariés", assure Mathilde Callède, DRH de Shine, néobanque française qui permet aux co-parents de prendre huit semaines à la naissance de l'enfant. "Grâce à cette phase d'adaptation, le conjoint est moins stressé et n'a plus l'impression d'avoir loupé quelque chose." La preuve qu'on aurait tort de se contenter de deux fois moins ?
En septembre dernier, la Commission des 1000 premiers jours apportait au gouvernement ses conclusions frappantes. Pour le bon développement de l'enfant, les 18 expert·e·s mobilisé·e·s autour de ce projet, présidé par le pédopsychiatre Boris Cyrulnik, jugeaient nécessaire que le congé du second parent dure minimum 9 semaines. L'Etat a décidé de couper la poire en deux. "De nous donner un mois. Ou plutôt... un mois de février", ironise Alexandre Marcel. Un effort qui ne doit pas s'arrêter en si bon chemin, presse l'auteur.
"Ce n'est pas assez long, à mon sens", lance-t-il. "Dans les pays nordiques, des études montrent que plus les pères sont présents longtemps à la naissance, plus les taches sont équilibrées au sein du foyer. Cela donne un meilleur exemple aux enfants et participe à créer des générations plus sensibles au sujet. Sinon, on va rester dans le modèle de monsieur gagne-pain et madame à la maison. Les choses ont énormément bougé, évidemment, mais il faut ancrer dans la loi ce changement de mentalité."
Pour Marc, même constat : le système scandinave - suédois surtout, où les parents bénéficient de 480 jours à se répartir dont 60 incompressibles pour le père - est à prendre en exemple. "[28 jours], ce n'est toujours pas suffisant. Il faudrait un congé d'a minima 3 mois pour les papas, comme la mère". Lui aussi pense à la société qui se bâtit, et à l'importance de ces décisions sur le futur des enfants.
"[Le congé paternité] est une période extrêmement importante dans la vie de quelqu'un. Ça pose aussi la question de l'humain par rapport à l'humain. On élève ainsi les prochaines générations qui construiront l'avenir". Et on l'espère, paveront la voix d'un monde d'après plus juste, égalitaire, et forcément, résolument féministe.