C'est la fête des mères. Une journée dédiée à la célébration de notre amour pour notre tendre progéniture, aux colliers de pâtes et aux petits dej' au lit. Un moment de bonheur, de bliss, comme on dit.
Mais alors que je devrais profiter de ce week-end pour me remémorer tous les souvenirs joyeux passés avec ma fille, je me retrouve dans un scénario beaucoup moins idyllique : à tenter tant bien que mal de trouver des mouchoirs pendant qu'elle me vomit dans les mains. Elle est malade en voiture, comme moi à son âge, et on a pris la route pour passer trois jours à la mer. Il nous reste deux heures avant d'atteindre notre destination.
Forcément, la situation m'échappe. Ce ne sont pas deux moitiés de Kleenex arrachées au paquet qui auraient pu me permettre d'éviter un drame - soit une odeur de mort dans la caisse et un énième lavage en machine de la housse du siège auto à l'arrivée.
Elle pleure, je la console comme je peux mais je lui concède volontiers qu'être couverte de dégueulis de Pom'potes ne soit pas très agréable. "Ne t'inquiète pas ma chérie, maman est là et on arrive bientôt". Mensonge éhonté destiné à ce qu'elle perçoive le calme (lui aussi simulé) dans ma voix. J'ai lu un jour qu'un enfant - de surcroît petit - se rassurait toujours quand il ne nous sentait pas paniqué·e·s. Alors j'applique.
Je tente tout pour réagir comme j'estime qu'une "bonne mère" le ferait. Seulement vraiment, qui crois-je donc tromper ? Je pue la gerbe et je suis tellement retournée du siège passager vers celui de ma fille à l'arrière, pour essayer de limiter la casse pendant que son père conduit, que je manque moi-même de renvoyer. Le stress est contagieux, on finit par s'engueuler - avec le père, pas la fille - rejetant la faute l'un sur l'autre alors qu'en vrai, c'est celle du combo virages-goûter. Ça ne m'empêche pas de culpabiliser.
Je me dis que j'aurais dû mieux prévoir, anticiper, attraper tout de suite un papier plutôt que d'y aller avec les doigts sans penser. Ma capacité à être profondément illogique en cas d'urgence m'étonnera toujours. Ça me rappelle la fois où j'ai sorti une bombe lacrymo, en forêt, après qu'une amie ait aperçu un sanglier. Action-réaction... foirée. Heureusement pour nous, il s'est évanoui dans la nature, et ma dignité avec.
Mais retour en voiture.
Alors que ma fille s'endort, épuisée par cette expérience pas franchement réjouissante, je pense aux mamans parfaites qu'on nous vend dans les films et dans les livres. Celles qui ont toujours des lingettes à portée de main, savent ce qu'il faut faire en toute occasion, ne doutent jamais de leur jugement car certainement touchées par la grâce de la maternité dès l'affichage du "+" sur le test de grossesse. Celles qui ne passent pas leur trajet à mater des comptes d'animaux mignons sur Insta mais jouent aux legos avec leurs petits à l'arrière. Car ce sont eux d'abord, quoiqu'il arrive.
En y réfléchissant plus longuement, et en me rappelant notamment une réflexion émise par les autrices de Fille-Garcon, même éducation, Pihla Hintikka et Elisa Rigoulet, lors d'un long entretien, j'en viens en fait à réaliser que ce "mythe de la mère parfaite", cette figure que l'on met sur un piédestal, qui correspond à une certaine forme d'éducation, de comportement, et conditionne par la même occasion toutes les concernées à s'y comparer, a sournoisement évolué avec le temps.
En France en tout cas, est né un néo-modèle de perfection maternelle qui surfe sur une surproductivité oppressante, et malheureusement, pas exclusive à la vie perso. En 2021, dans notre cher pays, la "mère parfaite" ne semble plus vraiment être celle qui reste à la maison et consacre toutes les minutes de sa journée à ses enfants. Elle est désormais celle qui "a tout".
Celle qui, par l'opération du Saint-Esprit, réussit à allier carrière, vie de couple épanouie, moments privilégiés fréquents avec les petits - qui dorment 12 heures d'affilée depuis leurs 3 semaines, soit dit en passant. Elle est cool, légère, drôle sans se forcer. A une autorité naturelle qui lui permet d'aller au resto avec ses gosses sans vouloir se cacher sous la table parce qu'ils décident d'utiliser leur fourchette comme catapulte. Et qu'ils ont commandé des pâtes bolo. Elle ne gronde pas, pas besoin. Une réflexion, un regard et tout le monde se tient bien.
Elle ne "s'oublie pas", non plus. Comme si ne plus avoir de temps pour s'occuper de soi était forcément un choix, auquel on pouvait remédier en s'octroyant 10 minutes pour un masque de beauté. Part en vacances avec ses copines, est présente aux spectacles de fin d'année, bien sapée, la preuve qu'on peut vivre 4 grossesses sans que son corps ne s'en trouve modifié. Et, finalement, cette évolution du stéréotype n'est pas plus enthousiasmante.
Car sous couvert de se débarrasser de celles d'antan, on a pavé sa vie de nouvelles injonctions. Le slogan émancipateur que pouvait incarner "mère, une femme peut tout faire" est rapidement devenu "mère, une femme doit tout faire". Où quand la définition de l'empowerment est lue à l'envers.
Dommage, car encenser une seule façon de vivre la maternité - qu'il s'agisse de ce stéréotype-là ou d'un autre, d'ailleurs - c'est renier une réalité essentielle : il n'y a pas une mère parfaite, mais des millions de mères qui font ce qu'elles peuvent, et aussi ce qu'elles veulent. Et à ce titre, c'est plutôt la pluralité des femmes qu'il serait bon de célébrer.
Celle de leurs choix, de leurs multiples façons de s'accommoder des bouleversements que représente le fait de devenir maman, de s'inquiéter h24 et de tout questionner. La pluralité de leurs échecs aussi, qui prouvent qu'elles ont essayé.
Alors, pour cette fête des mères, changeons de registre. Au lieu d'orchestrer une compétition nocive dont le but serait de parvenir à décrocher le titre ultra-subjectif de "mère parfaite" qui, quand on l'analyse, signifie surtout "mère mieux que les autres", encourageons une bienveillance entre mères. Mères qui galèrent, mères pour qui c'est facile, mères au foyer, mères carriéristes, mères qui biberonnent, mères qui allaitent, mères qui prônent le naturel, mère qui ne jurent que par le médical... Mères tout court.
Une chose est sûre, on ne s'en sentira que plus épaulées. Et finalement, plus aptes à s'épanouir au sein d'une complexe, éprouvante et merveilleuse maternité.