"Chaque jour passe, et de plus en plus de collègues inquièt·e·s de la nouvelle situation nous demandent conseil. Les recommandations changent presque d'un jour à l'autre, jusqu'à l'obligation de confinement qui signifie notre mort sociale". C'est à l'attention du ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran que s'adresse cet édifiant et salutaire Manifeste du Strass, le Syndicat du travail sexuel en France. En plein confinement national, alors que leur fragilité professionnelle s'intensifie (mesures sanitaires obligent), travailleuses et travailleurs du sexe interpellent le gouvernement afin de bénéficier de véritables droits. Et donc, de "changer de paradigme".
Le confinement actuel exacerbe les discriminations sociales. Sa romantisation est un privilège de classe et cet adage est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'évoquer les travailleuses et travailleurs du sexe (ou "TDS") qui, comme le rappelle le Strass, sont exclu·e·s du droit du travail "pour des raisons purement idéologiques et morales". C'est-à-dire ? Pas de chômage technique, de droit de retrait, d'arrêt de travail ou de congés payés.
Cette absence flagrante de protection met aujourd'hui en péril le quotidien de bien des femmes et des hommes. Et cela ne peut plus durer. Le Strass tire la sonnette d'alarme : "Les vies des travailleur·ses du sexe sont en danger !".
Pour une durée indéterminée, bien des "TDS" se retrouvent donc au chômage technique... mais sans en bénéficier le moins du monde. Des droits limités déplorés par le Strass qui fustige "les défaillances de l'Etat" et suggère avec insistance de repenser le système national de solidarité et de protection sociale, afin d'assurer à toutes et tous des revenus décents en cas de non-travail. "Le confinement risque de durer longtemps, or nous aurons tou·te·s besoin tôt ou tard de gagner de quoi couvrir les frais de la vie courante", ajoute le syndicat. L'heure est grave. Certains d'entre-nous ont le statut d'auto-entrepreneur mais ça reste des aides qui ne représentent pas grand-chose. La majorité d'entre nous n'ont pas de statut. On n'a rien", s'attriste Amar, la secrétaire générale du Strass.
Une inquiétude redoublée par bien des facteurs, des risques qu'encourent les travailleur·se·s les plus précaires au niveau sanitaire (forcé·e·s de travailler pour survivre) à leur stigmatisation par l'opinion publique ("[Les TDS ont toujours été] considéré·e· s comme des vecteurs de maladie"), sans oublier, comme le développe Au Féminin, les risques d'expulsion (puisque de non-paiement du loyer), la situation d'autant plus préoccupante des femmes migrantes et les dangers relatifs à un travail exclusivement virtuel, comme le cyber-harcèlement.
"L'alternative d'internet est moins fiable, saturée et risquée au niveau de l'anonymat, moins lucrative et dangereuse à cause de la rediffusion des photos et des vidéos sur le net", détaille à ce titre Judith, travailleuse du sexe fondatrice de la page Instagram @tapotepute.
Face à la mise en péril professionnelle, sociale et sanitaire des TDS de France, les seul·e·s à agir sont les concerné·e·s. Une cagnotte Leetchi a déjà été lancée par le Strass afin d'assurer des moyens de substitution au plus mal lotis. Et, simplement, de sauver des vies.
"Pour l'instant, nous observons une grande responsabilité de la part de notre communauté qui globalement respecte les consignes de santé. Mais pour combien de temps ?", s'inquiète pourtant le syndicat dans sa tribune, rappelant que "la rencontre sexuelle reste une pulsion de vie en période difficile". Une préoccupation bien plus large qu'on ne pourrait le croire en vérité. Car s'intéresser aux TDS et à leurs conditions de vie, c'est considérer le sort des personnes les plus invisibilisées en situation de crise et l'inégalité des accès aux soins comme aux aides.
Minorités, étudiant·e·s, sans-papiers, femmes seules... Pour le Strass, il est plus que temps "de simplement respecter la vie humaine et d'accepter que la bonne santé des uns soit liée à celle de tous".