Société
"Je me mets en danger et mes clients aussi" : une factrice témoigne
Publié le 23 mars 2020 à 16:41
Par Catherine Rochon | Rédactrice en chef
Rédactrice en chef de Terrafemina depuis fin 2014, Catherine Rochon scrute constructions et déconstructions d’un monde post-#MeToo et tend son dictaphone aux voix inspirantes d’une époque mouvante.
Alexandra L. est factrice dans une petite commune de 2 500 habitants dans le Loiret. Elle nous raconte son quotidien en pleine épidémie de coronavirus.
Témoignage d'une factrice en pleine épidémie de coronavirus/photo d'illustration Témoignage d'une factrice en pleine épidémie de coronavirus/photo d'illustration© Adobe Stock
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Sa tournée était un petit bonheur. Le contact avec les "clients" comme elle les appelle, la proximité, Alexandra adore ça. Mais au fur et à mesure de l'avancée de l'épidémie de coronavirus en France, son travail de factrice en zone rurale s'est transformé en corvée. Depuis quelques semaines, la jeune femme part distribuer le courrier la boule au ventre.

"Mes collègues commençaient à être un peu inquiets il y a quelques semaines, mais je leur disais de ne pas dramatiser. Au boulot, on nous faisait quelques petits briefs d'information pour nous dire qu'il n'y avait pas de mesures préventives. Mais c'était calme", confie-t-elle.


L'anxiété est montée d'un cran début mars, bien avant le confinement instauré le 16 mars pour endiguer l'épidémie de coronavirus. La direction commence à marteler lourdement sur l'importance des gestes barrière, on distribue aux employé·e·s du gel hydroalcoolique. "Et puis vers le 10 mars, on nous a demandé de ne plus faire signer les recommandés par exemple ou de laisser tomber le 'Facteo', ce petit téléphone qui permet de faire signer les gens avec le doigt." Alexandra se sent de plus en plus vulnérable. Elle qui croise "énormément de monde" pendant sa journée de travail, la voici exposée au Covid-19 qui ravage la France.

"On nous a répété jusqu'à vendredi dernier (20 mars) que les masques n'étaient pas utiles et que de toute façon, il n'y en avait pas assez, qu'il fallait prendre impérativement cette distance de sécurité d'un mètre, envoyer un SMS quand les gens ont un colis contre signature en leur demandant de leur mettre dans leur boîte directement- une livraison sans contact, quoi. Mais que les gants ne servaient à rien et que 'c'était encore pire'".

Mais le virus peut s'incruster plusieurs heures sur les surfaces comme le papier ou le carton (jusqu'à 24 heures). Et Alexandra manipule lettres et colis à longueur de tournée, 6 jours sur 7. "On ne sait pas qui y a touché avant. Je suis terrorisée", souffle-t-elle.

Distribution du courrier © Adobe Stock
Du gel comme seule protection

Afin de se protéger, la factrice d'habitude affable doit prendre ses distances car "les gens continuent à échanger, ils demandent des nouvelles. Ce n'est pas comme si j'étais au pied d'un immeuble devant une batterie de boîtes aux lettres... J'ai l'impression d'être encore plus exposée et en danger que les facteurs de 'ville'. Même si nous sommes en campagne et que les gens circulent moins, nous sommes plus en contact, même si ces derniers temps, j'avais l'impression d'être un pestiférée."

Le petit flacon de gel hydroalcoolique distribué il y a quelques semaines est presque vide. Quand en aura-t-elle un nouveau ? Elle ne le sait pas. Ce flacon reste pourtant son unique moyen de protection face au Covid-19. "On part en tournée vers 9h45, on a une pause méridienne de 45 minutes, puis on repart jusqu'à 15h10. Donc on a en gros 5 heures où, à part le gel ou si on peut rentrer chez soi pour manger, on ne peut pas se laver les mains car tous les commerces sont fermés."

Cette semaine, Alexandra est en congé. Un véritable soulagement. "Je suis contente d'être chez moi car au moins, je n'aurais plus à faire tout ça. Cela va m'apaiser psychologiquement, j'étais sur le point de péter les plombs."

Envisage-t-elle un retour au travail ? Elle n'en est pas encore sûre. Cela dépendra de l'évolution de la situation- qu'elle sait de plus en plus tendue- et des mesures sanitaires prises. "J'ai pensé exercer mon droit de retrait. Si on m'avait dit que je ne pouvais pas prendre mes congés parce que 'nous sommes en mission de service public', je l'aurais fait valoir parce que je commence à arriver au bout psychologiquement. J'ai l'impression de me mettre en danger et de mettre les clients en danger."

A cette tension permanente s'ajoute la perspective de devoir annuler son mariage, prévu de longue date au mois de juin prochain. "Cela fait plus d'un an que je le prépare, tout le monde se moquait gentiment de moi parce que j'étais très en avance pour éviter le stress des derniers mois... Quelle ironie !"

Son seul réconfort en cette période particulièrement anxiogène : partager son quotidien avec son conjoint pâtissier, lui aussi exposé 6 jours sur 7 dans un tout petit atelier où il est très compliqué de respecter la distance de sécurité d'un mètre. Mais "heureusement, il est moins angoissé que moi."

Pendant sa semaine de repos salutaire, Alexandra va tenter de se tranquilliser et observer. Et elle avisera. La prime de risque réclamée par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, elle s'en ficherait presque. "Evidemment, je serai contente vu mon 'énorme' salaire !", ironise-t-elle. "Mais à l'heure actuelle, je suis plus soucieuse de la santé que de l'argent. Nous allons avoir à faire à un afflux de colis, malheureusement. Si les conditions de confinement et de la situation devaient se durcir, je pense qu'il faudrait tout arrêter. En l'état, nous nous mettons en danger. Je pense par exemple aux caissières qui sont en première ligne. C'est encore pire que nous... Certes, il y a la mission de service public, mais la santé et la sécurité de toutes et tous sont une priorité."

 

MISE A JOUR 23 MARS 2020 : La Poste a annoncé ce lundi qu'elle allait se recentrer sur des missions essentielles en assurant moins de services et réduisant ses tournées, afin e moins exposer ses employé·e·s pendant l'épidémie de coronavirus.

Mots clés
Société témoignage inégalités confinement News essentielles Covid-19
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