On pourrait croire que lorsque l'on est une artiste féminine qui a réussi à percer dans le milieu ô combien macho de la musique indé, on suscite forcément le respect et l'estime de ses confrères masculins. Ce n'est malheureusement pas le cas.
Dans leur dernière édition de leur newsletter Lenny, Lena Dunham et Jenni Konner donnent la parole à Bethany Cosentino. Leader du groupe d'indie rock californien Best Coast, la jeune femme de 29 ans revient longuement les attaques misogynes dont elle a fait les frais depuis le début de sa carrière de musicienne en 2009. Des "remarques blessantes et sexistes sur l'apparence et sur l'identité" aux commentaires dégradants tenus par certains fans ou journalistes en passant par les messages vulgaires de trolls machistes sur les réseaux sociaux, Bethany Cosentino n'épargne aucun détail.
Elle prend pour exemple un récent commentaire laissé par un fan suite à un concert de Best Coast.
"Je lisais récemment un avis saluant un de nos shows. Il précisait à quel point le groupe sonnait bien et à quel point j'avais l'air 'sexy', même s'il déplorait le fait que je souriais peu. Ce commentaire m'a mise profondément mal à l'aise. L'auteur de cette critique sexualise ma présence sur scène en révélant comment il pensait qu'une femme 'sexy' doit se comporter. Il a également montré comment les idées sur la sexualisation des femmes sont profondément ancrées dans notre société. Beaucoup de gens n'ont même pas vu le sexisme sous-jacent de sa critique. En fait, dans les médias sociaux qui ont cité le commentaire, d'innombrables personnes m'ont attaquée avec des remarques comme 'Passe à autre chose ! Il t'a complimentée alors cesse de faire ta pétasse pleurnicharde !'
Certains commentaires étaient favorables et se demandaient comment un article comme celui-ci avait pu être publié. La réalité est qu'il a été publié parce que nous vivons dans un monde où ce genre de chose est considéré comme OK. Nous vivons dans un monde où un homme peut crier après moi pendant que je suis sur scène 'Bethany, je veux te baiser!' Et je suis censée non seulement rester là sans rien dire mais aussi prendre comme un compliment à ajouter à mon arsenal féroce de confiance sexy. Non seulement il faut que je l'accepte, mais que j'en souris et que je sois heureuse d'être sexualisée par mon public. Si je ne le suis pas, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche chez moi."
Le problème, relève Bethany Cosentino, ce n'est pas tant qu'elle est la cible de commentaires vulgaires de la part de ses fans. C'est qu'en tant que femme musicienne, elle soit la seule membre de son groupe à qui l'on se permette de proférer des insultes. "La critique peut être constructive, explique-t-elle dans la newsletter. Mais avec l'omniprésence des médias sociaux, il semble que les femmes ne puissent pas faire grand-chose en public sans que quelqu'un se permette de faire une remarque misogyne. Quand est-ce devenu acceptable pour la 'critique' de prendre la forme de commentaires en lignes abusifs, vulgaires et inappropriés ?"
Le sexisme de l'industrie musicale ne s'arrête pas aux commentaires déplacés de quelques fans ou collègues. Dans sa tribune, Bethany Cosentino évoque aussi le harcèlement sexuel qu'elle et d'autres femmes ont subi de la part de Heathcliff Berru. Cet ex-PDG de Life or Death PR & Management représentait de nombreux artistes reconnus tels que DIIV, D'Angelo, Tyler the Creator ou Odd Future.
Le 19 janvier dernier, Amber Coffman, membre du groupe Dirty Projector, l'accusait nommément d'agression sexuelle aggravée dans une série de tweets. Elle a rapidement été rejointe par Bethany Cosentino, qui l'a elle aussi accusé de harcèlement, ainsi que par les publicistes Beth Martinez et Judy Miller Silverman.
Les témoignages d'Amber Coffman et de Bethany Cosentino sur le sexisme de la scène musicale indé sont loin d'être des incidents isolés. L'an dernier, c'était au tour de Björk de dénoncer dans une interview accordée à Pitchfork le machisme du milieu. Les chanteuses Taylor Swift, Grimes, MIA, Solange Knowles et Lauren Mayberry de Chvrches se elles aussi élevées contre la misogynie de l'industrie musicale. La semaine dernière, Slate.fr proposait dans un article les témoignages édifiants d'attachées de presse, de chefs de projet ou de salariées de labels elles aussi confrontées au machisme ambiant de leurs collaborateurs, de leur patron ou de leurs clients.
"Il n'y a donc rien de nouveau dans cette affaire, et c'est bien ce qui me dérange. Parce que l'histoire d'Amber Coffman et d'autres paraît se répéter à l'infini, et parce que tout cela pousse à croire que la culture du sexisme dans cette industrie n'a pas beaucoup évolué depuis qu'elle a cessé d'être un repaire de vieux roadies et managers pour lesquels les filles ne sont que de simples faire-valoir passe-Kronenbourg", écrit la journaliste de Slate.fr Ondine Benetier.
Un point de vue que partage Bethany Cosentino. En conclusion de sa tribune parue dans la newsletter Lenny, la chanteuse de Best Coast l'affirme : on peut être une femme et une musicienne, on peut écrire des paroles romantiques et être une femme forte. "Je sais que je choisi absolument la bonne carrière. Je suis une créative, une femme forte et franche, et ma voix ne se taira pas. [...] À la jeune fille qui se pose des questions sur sa propre identité, je te le dis en toute confiance: tu es talentueuse, tu es forte, tu es unique. Ne laisse jamais des crétins lanceurs de hamburgers te laisser croire le contraire."