Le mois sans tabac touche à sa fin. Comme chaque année, la cigarette a été au coeur de nombreuses discussions, dont la polémique suscitée par la ministre de la santé Agnès Buzyn qui a affirmé ne pas comprendre "l'importance de la cigarette dans le cinéma français". Mais pour l'heure, c'est principalement le nombre de consommateurs de tabac en France qui inquiète les autorités sanitaires. Selon le baromètre santé-tabac de Santé Publique France dévoilé le 31 mai dernier à l'occasion de la Journée mondiale sans tabac, 73 000 décès par an en France sont directement imputables à la consommation de cigarettes. D'après l'enquête, 28% des 15-75 ans fument quotidiennement.
Chez les femmes, le tabagisme continue d'augmenter. Selon les données 2013 de l'Inpes, (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) 28% des femmes se déclarent fumeuses, contre 36% pour les hommes, dont la proportion a considérablement baissé au cours de ces 50 dernières décennies (60% de fumeurs réguliers dans les années 60-70 à 28,2% en 2014). Aujourd'hui, la consommation de tabac au sein de la gent féminine occupe une place tellement importante qu'en 2015, le cancer du poumon chez la femme est devenu plus meurtrier que le cancer du sein.
Ce pic d'évolution du tabagisme féminin ne date pas d'hier. Historiquement, on attribue les stratégies marketing et publicitaires de l'industrie du tabac ciblées en direction des femmes à partir des années 70. Mais en réalité, elles remontent aux années 20-30. La marque de cigarettes Gitanes qui représente une silhouette de femme sur le paquet a par exemple été créée en 1910. À cette époque, l'argument minceur pour vendre des cigarettes aux femmes fait mouche.
Au début des années 30, la marque Lucky Strike va même jusqu'à dessiner un visage féminin dotée d'un double-menton à côté de celui d'une femme mince. En-dessous de l'image, le slogan choc : "quand vous êtes tentée par une sucrerie, prenez une Lucky Strike à la place". Aujourd'hui encore, l'argument selon lequel la cigarette fait maigrir est tenace...mais pas tout à fait avéré. Car s'il est vrai que le fait de fumer coupe l'appétit et augmente la sensation de satiété, la nicotine exerce également un effet sur l'équilibre hormonal, ce qui perturbe la répartition des graisses et à long terme, favorise la prise de poids au niveau du ventre.
Dans les années 30-40, la cigarette fait sa grande entrée au cinéma. D'abord à Hollywood, puis plus tard en France, dans les années 60. Sublimée par des actrices de cinéma de renom telles que Marilyn Monroe ou Audrey Hepburn qui s'affichent à l'écran avec un fume-cigarette à la main, la consommation de tabac féminine est très à la mode dans les années 50. "Au fil des générations, l'image de la femme qui fume a suivi l'évolution du statut des femmes dans la société. À l'époque la cigarette se présente comme un symbole glamour, symbolisant l'élégance, le luxe et la réussite sociale", explique le comité national contre le tabagisme (CNCT).
Si l'industrie du tabac cible les femmes depuis le début du 20e siècle, ce n'est qu'à partir des années 70 que la consommation de tabac a explosé auprès de la gent féminine. Et pour cause : à l'époque, la cigarette devient un véritable symbole d'émancipation féminine. En effet, fumer représente également une manière très symbolique pour les femmes de montrer leur indépendance en adoptant les mêmes comportements que les hommes, notamment en consommant de d'alcool et du tabac.
Une brèche dans laquelle les marques de cigarette n'ont pas tardé à s'engouffrer. En 1968, l'entreprise Philip Moriss sort des Virginia Slims, des cigarettes longues et fines spécialement adaptées aux femmes, avec son célébrissime slogan : "You've come a long way, baby", que l'on peut traduire par "tu as parcouru un long chemin, bébé". En 1987, la campagne de publicité télévisée pour les cigarettes Gitanes qui vendait "'la séduction pure et dure" a elle aussi marqué les esprits. "Cette collection de publicités télévisées montre comment l'industrie du tabac a conçu le produit adapté à la main féminine et, plus précisément, comme un symbole d'autonomie féminine", souligne un article du site Voanews.
Si la publicité autour du tabac est interdite en France depuis l'entrée en vigueur de la loi Evin en 1991, les femmes payent encore aujourd'hui les conséquences des stratégies publicitaires de l'époque. La situation se révèle tellement préoccupante qu'en 2013, les autorités sanitaires publiques françaises ont lancé un plan anti-tabac s'adressant en priorité aux jeunes et aux femmes. Mais ce fléau dépasse largement les frontières de l'Hexagone. D'après des chiffres de l'Organisation Mondiale de la santé (OMS), 1,5 million de femmes meurent du tabac chaque année.
La proportion de fumeuses au niveau mondial reste largement inférieure comparée aux hommes fumeurs puisque près de 40% des hommes fument contre 9% des femmes. Néanmoins, l'épidémie de tabagisme chez les femmes est en progression dans certaines parties du monde, notamment en Asie, alerte l'OMS dans un rapport publié en 2011. L'institution des Nations Unies encourage les pays concernés à effectuer davantage de recherches pour mieux comprendre les tendances du tabagisme chez les femmes.
Paradoxalement, l'OMS conseille aux autorités sanitaires d'adopter la même stratégie que les publicitaires : "ce sont sans doute les spécialistes en marketing qui comprennent actuellement le mieux ce qui pousse les femmes à faire l'expérience de la cigarette et à finalement l'adopter ! Ces spécialistes adaptent leurs messages afin de cibler des groupes démographiques et socio économiques précis. Un marketing social efficace par les défenseurs de la santé publique appelle une réaction tout aussi sophistiquée et ciblée qui doit être ancrée dans le contexte culturel local", estime l'OMS.