Si la mort était tabou pour les générations précédentes, elle est abordée de façon bien plus naturelle aujourd'hui, ainsi qu'en témoigne Patrick Martineau, directeur général du Choix funéraire, que nous avons interrogé.
"La génération de nos parents ne parlaient pas de la mort, la nôtre en parle", nous confirme celui qui est dans le business depuis vingt-cinq ans et a assisté à la transformation radicale de la gestion des obsèques dans un monde en pleine mutation digitale mais aussi sociétale. Car si, hier, on enterrait fréquemment ses morts au cimetière de la commune dans laquelle continuaient de vivre toute la famille, aujourd'hui, alors que les membres sont bien plus souvent éparpillés aux quatre coins du pays voire du monde, il a bien fallu s'adapter.
Le choix funéraire ? Il se fait en ligne, grâce à un devis qui permet à la famille de s'organiser financièrement, lorsque le défunt n'a pas souscrit à un contrat prévoyance, comme c'est de plus en plus souvent le cas (6 millions de français ont aujourd'hui pris leurs dispositions). Ainsi les proches peuvent-ils monter une cagnotte en ligne afin de réunir la somme nécessaire aux obsèques (3000 euros en moyenne) lorsqu'elles sont traditionnelles, ou encore opter pour les "funérailles low-cost", gros succès online dans un univers où l'utilisateur est rompu à ces packages attrayants pour lesquels, du voyage à la location, en passant par les obsèques, donc, on se laisse naturellement séduire pour ces solutions faciles, peu chères et bien pensées. Pourquoi en effet ne pas rejoindre l'au-delà à prix cassé alors qu'on s'en réjouit de son vivant ? Cercueil premier prix sans fioritures à choisir en ligne, acquis en quelques clics, pour que "mourir ne soit plus un luxe", ainsi que l'indique le slogan d'Eco Plus funéraire, l'e-commerce de la mort marche fort.
Chez Philippe Martineau, on a mis en place la liste obsèque, qui "a de très grosses similitudes avec la liste de mariage". Sur celle-ci, les proches du défunt souhaitant participer peuvent acheter les objets choisis exprès par la famille endeuillée pour la cérémonie. Bouquets, plaque, qu'on venait péniblement acheter, autrefois, en magasin, la peine au ventre, seront directement offerts par ceux qui le souhaitent sans avoir à se déplacer. Mieux, la société propose également, pour les familles dont certains membres souhaitent assister à la cérémonie sans forcément pouvoir le faire (distance, obligations professionnelles, raisons médicales...), une retransmission en streaming de celle-ci, grâce à des codes fournis aux invités prévenus, de plus en plus souvent, via un faire-part en ligne, lequel s'est aujourd'hui substitué aux quelques lignes imprimées dans les journaux de nos aînés.
Quant aux condoléances, elles sont bien souvent consignées sur des pages créées par l'entreprise des pompes funèbres, à la demande de la famille, mais aussi par des sites spécialisés dans le mémorial en ligne. Pour exemple, Paradis blanc, ce nouveau lieu en ligne où ont été créés quelques 4000 mémoriaux permet en effet aux familles de rendre hommage à leurs proches à une époque où, outre le sacro-saint anniversaire de la Toussaint, on ne se rend plus guère sur la tombe de ses morts, d'autant que 33% des familles optent aujourd'hui pour la crémation, considérée comme plus moderne et écologique. Gratuit, le service propose aux utilisateurs de créer une page dédiée au défunt sur laquelle photos, vidéos, bougies virtuelles, hommages et souvenirs sont consignés dans un espace accessible à tout moment et à l'ambiance feutrée "très loin de l'image sinistre que nous avons de la mort", commente Anne-Sophie Tricart, sa co-fondatrice.
Et quid des pages Facebook, justement, des proches décédés, bien souvent transformées elles aussi en mémoriaux avant de hanter, comme des millions d'autres, le réseau social devenu "plus grand cimetière de la planète", comme l'expliquait déjà France Info en 2013 ? Beaucoup choisissent de les laisser "survivre" à leurs propriétaires. D'autres, excédés ou peinés de recevoir plusieurs années après la mort de leur créateur, des notifications les concernant, optent pour la suppression totale du compte (acte de décès à l'appui). Pourtant, beaucoup d'experts suspectent le géant du Web de conserver, par-delà la mort de leurs propriétaires, leurs informations et données relationnelles dans les coffres de Palo Alto. Comme si la digitalisation de nos existences faisait qu'aujourd'hui, plus aucun secret ne puisse être totalement emporté dans la tombe, ni qu'une existence soit finalement consignée dans quelque entraille du Web. RIP le droit à l'oubli. Bienvenue dans l'éternité 2.0.