Dans la vraie vie, le célèbre architecte Gustave Eiffel et sa dulcinée Adrienne Bourgès n'avaient que neuf ans d'écart. Mais c'est un tout autre schéma que met en scène Eiffel, le bien nommé biopic qui sort en salles ce 13 octobre : ces deux figures historiques sont incarnées à l'écran par Romain Duris et Emma Mackey, remarquée dans la série Sex Education. Or, 22 ans séparent les deux comédiens. Ni plus ni moins.
Un écart d'âge notable (doux euphémisme) qui suscite la polémique sur les réseaux sociaux. "Le cinéma doit être gage de cohérence, pas nécessaire de vraisemblance. En quoi ce choix est un problème ?", s'interroge un twitto. Et un autre de lui répondre à raison : "Parce qu'il est vraiment systématique. Quasiment tous les couples à l'écran ont une forte différence d'âge, et toujours dans le même sens...".
Effectivement, l'écart d'âge est une constante dans le cinéma français, et pas seulement.
Des classiques du cinéma hollywoodien comme l'oscarisé Casablanca (où Humphrey Bogart a 43 ans, Ingrid Bergman seulement 24) aux comédies romantiques cultes de notre filmothèque (22 ans d'écart séparent Richard Gere et Winona Ryder dans Un automne à New York) en passant par des cas d'école hallucinants (quasi quatre décennies de différence entre Sean Connery et Catherine Zeta-Jones dans le film d'action Haute Voltige) on pourrait dire que le cinéma américain démontre avec clarté une certaine... logique.
Mais les chiffres sont tout aussi ahurissants dans le ciné français. Eiffel ferait presque office de petit joueur face aux choix systématiques de partenaires d'un comédien comme Dany Boon par exemple (jusqu'à 16 ans d'écart face à sa partenaire à l'écran Laurence Arné) ou Daniel Auteuil, qui dans le film Amoureux de ma femme partage une soirée avec Adriana Ugarte : 35 ans de différence entre les deux.
"En rendant cet écart systémique, les fictions nous disent qu'il est possible de sortir avec une femme plus jeune quand on est un homme plus vieux (c'est-à-dire plus 'expérimenté') mais surtout que c'est normal, décryptait Pauline Mallet, instigatrice du podcast de cinéma féministe Sorociné - écouter à ce titre l'épisode spécialement dédié à ce sujet épineux. L'inverse, par contre, est beaucoup plus rare.
Et l'experte de poursuivre : "Cela nous renvoie au mythe de la séduction et de la 'courtoisie' à la française : le fantasme inépuisable de la jeune fille, inexpérimentée, pure, que l'homme mature a envie de déflorer. Comme si, dans le cinéma français, les jeunes femmes étaient similaires aux nus que l'on observe dans les musées : des figures à l'air innocent, presque enfantines parfois, mais qui semblent scruter les hommes, leur inspirer la tentation". Un côté suranné qu'Eiffel ne semble pas transgresser malheureusement.
"Le problème de la discrimination existe, si on caste des actrices systématiquement dix ans en-dessous de leur rôle. Que reste-t-il alors aux "vieilles" ? (genre 40 ans, brrrr). Mais surtout c'est un problème de représentation culturelle. Pourquoi retrouve-t-on ça dans TOUS les films ?... Sur un film, je ne dis pas, ça peut être cohérent / justifié. Mais de manière générale, c'est juste qu'on estime que le public ne peut pas voir un couple de même âge. Curieux, non ?", s'interroge avec fracas un internaute. On ne peut mieux dire.